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19 mars 2014 3 19 /03 /mars /2014 17:54

 

la-major.jpg


 

L

 

orsqu’on arrive par la mer à Marseille, on peut apercevoir trois monuments emblématiques de l’histoire de la cité phocéenne.

Au sud, perchée sur sa colline, Notre dame de la Garde, presqu’éponyme de Marseille, veillant depuis la fin du XIXème siècle sur le sort des marins.

A l’entrée du Port de la Joliette le Mucem, avec sa façade en dentelle, jetant une audacieuse poutre en béton comme un doigt vers le Fort Saint Jean.

Ce trait symbolique relie les vieilles pierres de la gardienne historique du Lacydon à l’architecture résolument audacieuse du nouveau temple culturel de la cité phocéenne.

Derrière on aperçoit la cathédrale Sainte-Marie-Majeure, dont la construction fut décidée par Louis Napoléon Bonaparte. Reçu par Monseigneur Mazenod et son chapitre, lors de sa visite le 26 Septembre 1852, il en posa la première pierre.

La statue de Monseigneur Belzunce, qui ne devait rejoindre qu’en 1892 le parvis de la nouvelle cathédrale, avait été placée provisoirement devant l’ancienne église : "Le saint Pasteur, les yeux levés vers le ciel les mains étendues et suppliantes, invoque pour son troupeau la miséricorde divine"(1).

Cette attitude est à l’origine d’une expression bien marseillaise.

Ne dit-on pas en effet d’invités qui arrivent les mains vides qu’ils viennent "comme Belzunce" ?

Souhaitant probablement soigner l’électorat catholique, à la veille du plébiscite du 2 décembre, le futur empereur s’adressa en ces termes à ces hôtes marseillais : "Lorsque vous irez dans ce temple appeler la protection du ciel sur les têtes qui vous sont chères, sur les entreprises que vous avez commencées, rappelez vous celui qui a posé la première pierre de cet édifice et croyez que, s’identifiant à l’avenir de cette grande cité, il entre par la pensée dans vos prières et dans vos espérances"(1).

Les marseillais ne lui en furent pas particulièrement reconnaissant : avec un taux d’abstention de 47%, ils n’apportèrent qu’une faible contribution à son avènement comme empereur lors du plébiscite.(2)

La nouvelle cathédrale fut construite selon les plans de l’architecte Léon Vaudoyer.

Sa réalisation fut reprise à sa mort en 1872 par Jacques Henry Espérandieu, qui en assurait déjà la direction des travaux et qui en avait dessiné la façade ouest

Il fut à son tour remplacé, a sa disparition prématurée en 1874, par Henri Revoil qui achevât la nouvelle cathédrale le 30 novembre 1893 soit plus de 40 ans après la pose en grand pompe de la première pierre et bien après que l’ombre de l’aigle impérial ne puisse la couvrir.

Ce fût la seule cathédrale édifiée en France au XIXème siècle.

On pourrait s’étonner de voir un monument religieux si imposant, isolé dans un lieu aussi excentré du cœur grouillant de vie de la ville.

Ce curieux positionnement est lié à l’histoire de la cité phocéenne.

Le centre historique des dévotions des marseillais se trouvait précisément près de ce promontoire qui abritât un temple à la gloire de Diane d’Ephèse à laquelle les massaliotes portaient un culte assidu dès l’origine.

Derrière ce majestueux monument au style romano byzantin, assez proche de celui de Notre Dame de la Garde, on peut apercevoir les restes de l’ancienne cathédrale datant du milieu du XIIème siècle.

Malgré ses dimensions presque ridiculement modestes face à son imposante remplaçante, c’est un superbe exemple d’architecture romane provençale construit en pierre rose des carrières de la Couronne. L’édifice a été largement amputé de deux travées lors de la construction de la nouvelle cathédrale.

Elle avait d’ailleurs vocation à être totalement détruite pour laisser le champ libre à l’imposant ouvrage qui la remplaçait mais c’était sans compter sur l’attachement des Marseillais à leur ancienne église qui firent une pétition pour la conserver.

La construction de la nouvelle cathédrale fut aussi l’occasion de découvrir les restes d’un magnifique baptistère du Vème siècle dont on peut admirer les mosaïques et la maquette au musée d’histoire de Marseille.

Plus récemment, en 2008, à l’occasion du projet Euroméditerranée, fut découverte une mosaïque polychrome du Vème siècle qui aurait appartenu à un ancien palais épiscopal bien antérieur à l’actuel évêché construit à partir de 1648 à la demande de l'évêque Arthur d'Épinay de Saint-Luc et qui est aujourd’hui le siège de l'Hôtel de police de Marseille.

La cathédrale n’est aujourd’hui guère visitée et rares sont les touristes qui se hasardent à entrer dans un édifice aussi froid, immense mais si peu accueillant.

Ma grand-mère m’y emmena alors que je n’étais encore qu’un gamin.

Je me souviens de l’air abasourdi du prêtre qui officiait lorsqu’elle l’apostropha en ces termes : "Mon père, je ne vous félicite pas ! Votre église est un vrai foutoir !". Elle n’avait pas totalement tort sur le fond mais je lui dois une de mes hontes enfantines les plus vivaces.


Patrice Leterrier

19 mars 2014

 

(1) La Major, cathédrale de Marseille Casimir Bousquet

(2) Histoire de Marseille Raoul Busquet

 

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17 mars 2014 1 17 /03 /mars /2014 14:11

les-danaides.jpg

J

ean-Baptiste Hugues, sculpteur marseillais, doit une grande partie de sa célébrité à la muse de la source qui se trouve maintenant au musée d’Orsay.

Elle fut longtemps dans le salon Berthelot du palais du Sénat où les sénateurs avaient, dit-on, l’habitude de caresser le sein gauche de la pompe funèbre car la légende voulait que le modèle du sculpteur ait été Marguerite Steinhel.

La célèbre maitresse du Président Felix Faure, mort en épectase durant une fellation qu’elle lui prodiguait dans le salon bleu de l’Elysée, n’était pas en réalité le modèle.

Elle ne pouvait l’être, malgré la ressemblance, car Jean Hugues songeait à son visage dès 1881 et Madame Stenheil n’avait alors que 12 ans.

Mais Jean-Baptiste Hugues est aussi l’auteur du groupe moins connu représentant les danaïdes qui orne la fontaine qui se trouve square Stalingrad à Marseille.

L’endroit s’appela d’abord en 1808, cours du Chapitre.

Il se situe à l’emplacement d’une importante propriété appartenant au chapitre de la cathédrale, la vieille Major, mise en adjudication aux enchères publiques comme bien national le 26 mai 1791(1).

Au milieu du XIXème siècle, le cours du chapitre n’était encore qu’un vaste terrain vague où l’on jouait aux boules.

Sous la IIIème République, la Ville de Marseille, lourdement endettée par les grands travaux du second empire, avait abandonnée les projet somptueux.

Le projet d’aménagement du cours du Chapitre n’avait pas certes le prestige du percement de la rue de la République ni celui de la construction du Palais Longchamp.

La Ville y installe d’abord un bassin en 1896 pour commémorer la visite en France du tsar Nicolas II et de la tsarine Alexandra du 5 au 9 octobre 1896 tandis que la capitale construisait le pont Alexandre III pour l’occasion.

En 1904, Jean-Baptiste Hugues propose d’installer en son centre son projet de fontaine avec le concours de l’État. Le maire Amable Chanot accueille favorablement cette proposition.

Le monument est prêt pour une inauguration en 1907 mais il ne le fut jamais car son cofinancement impliquait la présence d’un membre du gouvernement.

Le 19 Septembre 1913, près de 6 ans après sa mise en place, le maire Amable Chanot écrivait encore à l’artiste "Le séjour de M. Poincaré à Marseille sera de trop courte durée pour qu’on puisse espérer qu’il y soit ajouté l’inauguration de la fontaine des Danaïdes".

Le groupe de Jean Hugues reprend l’histoire issue de la mythologie grecque des 50 filles du roi Danaos, condamnées par les juges de morts à remplir sans fin un tonneau pour avoir tuer leurs époux et cousins le jour de leurs noces à la demande de leur père.

Seule l’ainée, Hypermnestre, désobéit à son père car son époux Lyncée avait respecté sa virginité.

L’œuvre de Jean Hugues représente cinq de ces gracieuses nymphes remplissant vainement le fameux tonneau devenu le symbole d’une tache impossible.

Au début du XXème siècle, la présence des platanes font du cours, rebaptisé successivement cours Joseph Thierry puis cours Stalingrad, "l’un des coins les plus ombragés et les plus frais de la cité phocéenne".

Les promeneurs s’y attardaient à la terrasse de la grande Brasserie du Chapitre qui se trouvait à l’emplacement de l’actuelle poste.

À partir de 1908, la brasserie des Danaïdes s’installe en face(2).

Elle s’y trouve toujours et, dans ma jeunesse, était le siège d’un club d’échecs où je venais régulièrement jouer.

J’avais comme professeur bénévole un vieil homme qui ne roulait pas sur l’or, si on peut se fier à sa mise plus que modeste, mais qui m’enseignât en bougonnant les règles de l’art de ce jeu dont la légende prétend qu’il fut inventé par le sage brahamne Sissa.


Patrice Leterrier

16 mars 2014

(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud. Cependant Laurent Noet attribue plutôt cette propriété aux chanoines de Saint Victor.

(2) Laurent Noet : Le Cours du Chapitre à la belle époque I

 

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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 14:07

david.jpg


 

L

 

e jeune homme s’approcha. Il était jeune, agile et leste comme une antilope.

Son regard perçant ne quittait pas celui du géant empêtré dans sa cuirasse pesante, gauche et malhabile même s’il voulait impressionner son adversaire en lui hurlant d’oser s’approcher et en faisant tournoyer son glaive immense au dessus de sa tête enfermée dans son casque.

Son champ de vision réduit par son gigantisme, dû à l’adénome de son hypophyse qui compressait son nerf optique, ne lui permettait pas de suivre le ballet incessant de cet insolent moustique qui tournait sans arrêt autour de lui.

Puis le ballet s’interrompit brusquement et avant qu’il ne réalise l’origine du sifflement qu’il perçût le géant s’effondra foudroyé par la pierre qui venait de jaillir de la fronde du jeune homme.

Il s’appelait David et le géant à terre, qu’il allait décapitait avec son propre glaive, s’appelait Goliath le philistin.

Ainsi commence l’histoire de David, le célèbre roi d’Israël, qui succomba aux charmes de Bethsabée. Pour écarter son mari, Urie le Héthien, il l’envoya se faire tuer à la guerre. Ils eurent un fils Salomon qui reste à la postérité pour son jugement.

L’histoire plus ou moins romancée de David inspira les sculpteurs de la renaissance dont le protégé des Médicis Donatello qui donna entre 1430 et 1432 une splendide version en bronze d’un David androgyne au sourire ambigu regardant à ses pieds la tête de Goliath avec ce déhanchement artistique qu’on appelle contrapposto.

Mais nous n’aurions sans doute pas une image aussi majestueuse de David si Michel Ange, avant d’avoir 30 ans, n’avait relevé le défi de le faire revivre dans un bloc de marbre de carrare auquel personne n’osait s’attaquer.

Il y travaillât prés de quatre ans avant de dévoiler son œuvre le 8 septembre 1504 sur la place de la Signoria à Florence. Aujourd’hui l’original se trouve à l’Accademia.

La statue reprend le déhanchement de son illustre prédécesseur mais, si la virilité du personnage ne fait aucun doute, son air à la fois songeur et inquiet laisse à penser qu’il n’a pas encore affronté le géant Goliath.

C’est de ce chef d’œuvre dont Jules Cantini fit faire une copie qu’il offrit à la ville de Marseille en 1903 avant la construction de sa monumentale fontaine de la place Castellane.

Après avoir dormi presque 50 ans dans les réserves du palais des Beaux-Arts de la place Carli, la statue, surnommée par les vieux Marseillais "quiquette ville et cul mer", tourne maintenant définitivement le dos à la grande bleue au Rond point du Prado à l’extrémité de cette avenue percée au milieu du dix-neuvième siècle pour permettre aux Marseillais de venir contempler la mer, lorsqu’ils ne venaient pas risquer au Casino de la Plage ou aux champs de Courses du Parc Borély leurs économies durement gagnées.

Dans ma jeunesse, la statue était aussi régulièrement victime des étudiants qui venaient obstinément colorer les attributs sexuels du David, que des employés municipaux devaient régulièrement rendre à leur aspect original. Son fessier définitivement tourné vers la mer était aussi souvent l’objet de diverses décorations sans que la quiétude éternelle du héros biblique ne s’en trouve altérée.


Patrice Leterrier

  7 mars 2014

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12 février 2014 3 12 /02 /février /2014 14:54

Estaque.jpg

D

 

es deux côtés du golfe, des bras de rochers s’avancent, tandis que les îles, au large, semblent barrer l’horizon; et la mer n’est plus qu’un vaste bassin, un lac d’un bleu intense par les beaux temps. Au pied des montagnes, au fond, Marseille étage ses maisons sur des collines basses ; quand l’air est limpide, on aperçoit, de L’Estaque, la jetée grise de la Joliette, avec les fines mâtures des vaisseaux, dans le port; puis, derrière, des façades se montrent au milieu de massifs d’arbres, la chapelle de Notre-Dame-de-la-Garde blanchit sur une hauteur, en plein ciel."

Qu’ajouter à cette description d’Émile Zola si ce n’est parler "des toits rouges sur une mer bleue" qu’évoque avec tant de force Paul Cézanne dans ses tableaux ?

Difficile pourtant, de nos jours, d’imaginer les pentes ensoleillées de Saint Henri et de Saint André, qui surplombent la côte, couvertes de vignobles.

Pourtant les vins de cette vallée, que l’on appelait la vallée de Séon, étaient très appréciés des romains.

Leurs galères venaient charger les amphores remplies du précieux nectar à l’abri du mouillage de l’estaco que le célèbre géographe grec Strabon nous signale déjà au premier siècle comme digne d’être cité et dont le nom apparaît comme Estac ou Estaque assez tôt sur les cartes. L’origine provençale du nom, signifiant "pieu d’amarrage", ne fait guère de doute.

Avant d’être un simple quartier du seizième arrondissement de Marseille, ce fût d’abord un hameau puis un village de pêcheurs et d’agriculteurs.

On y pratiquait essentiellement la pêche à la sardine et la seinche au thon.

Aujourd’hui il n’en reste que peu de trace si ce n’est quelques pointus qui participent plus au folklore local qu’à une véritable activité de pêche comme au temps des "pite-mouffe".

Les belles tuiles d’argiles rouges qui ornent ses toits ont longtemps fait sa renommée internationale.

Ce sont ces tuiles que Naïs Micoulin, dans la nouvelle de Zola, retournait à longueur de journée pour les faire sécher.

On peut en admirer la qualité jusqu'à Yokohama au Japon.

Au XIXème siècle, les estaquéens étaient pêcheurs ou tuiliers.

Les tuileries ont aujourd’hui disparu et les cheminées des usines ne recrachent plus ces "hauts panaches de fumée" dont parlait Zola.

La gare de l’Estaque, dont nous parle le poète René Char dans son poème "la gare hallucinée", est toujours aussi belle même si n’y accostent plus que quelques rares voyageurs.

Il ne reste que des ruines de cette période industrieuse dont Cézanne se plaignait en écrivant à sa nièce Paule Conti "Je me souviens parfaitement de l’Establon et des bords autrefois si pittoresques du rivage de l’Estaque. Malheureusement ce qu’on appelle le progrès n’est que l’invasion des bipèdes, qui n’ont de cesse qu’ils n’aient tout transformé en odieux quais avec des becs de gaz et - ce qui est pis encore - avec éclairage électrique. En quel temps vivons-nous !".

L’Estaque a toujours ses peintres amateurs mais n’accueille plus Cézanne fuyant la mobilisation en 1870 et s’y cachant avec sa compagne Hortense Fiquet avant qu’Émile Zola ne les rejoigne.

On peut, au détour d’une ruelle en jetant un regard sur la magnifique rade, imaginer l’éblouissement d’un Auguste Renoir, l’invention picturale d’un Georges Braque, la fougue et l’audace d’un André Derain ou encore les couleurs vives et crues d’un Raoul Dufy.

On pourra aussi, en contemplant ces façades aujourd’hui fatiguées du bord de mer, évoquer le souvenir de l’Estaque Plage, lieu de prédilection pour les sorties dominicales d’une bourgeoisie Marseillaise venue y faire quelques pas après avoir dégusté une bouillabaisse dans un des nombreux restaurants qui fleurissaient à la fin du XIXème siècle.

Aujourd’hui le bruit et la fumée des usines et des chantiers ne troublent plus l’air empli de l’odeur des embruns et les cris des gabians couvrent celui des véhicules parfois accompagnés du soupir poussif et cadencé d’un vieux moteur monocylindre Baudoin qui équipe encore quelques pointus.

Il reste ses chichi-frégis tout enrobés de sucre, ses panisses que l’on déguste sans retenue devant un pastis en regardant le soleil disparaître en rougissant sur l’horizon.

Il reste le charme indéfinissable de ses rues étroites qui serpentent la butte, la chaleur communicative de ses riverains au langage coloré comme nulle part ailleurs, ses joutes navales, le cinéma de Robert Guédiguian qui retrace si bien la lente agonie des chantiers navals et de l’industrie qui ne laissent aujourd’hui que les stigmates rouillés d’une grandeur passée.


Patrice Leterrier

12 février 2014

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5 février 2014 3 05 /02 /février /2014 13:09

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D

epuis le 23 décembre 1919, ce lieu bien connu de tous les marseillais sous le nom de la Plaine s'appelle ainsi. Il s’est d’abord appelé lo Plant de Sant Miquel (plateau de Saint Michel) pour devenir la Plaine Saint Michel puis la Plaine tout court, ce qu’il reste pour la plupart des Marseillais.

A l’origine, l’esplanade, qui se trouvait en dehors des limites de la ville, était connue sous le nom de Campus Martius et le chemin qui y conduisait s’appelait via de Campo Martio(3), un plateau désert qui ne s’animait que pour les exercices militaires et les visites royales.

Au XIIIème siècle les Croisés en partance pour la terre Sainte y campaient. Ils passaient le temps en y organisant des joutes et des tournois.(1)

Les édiles marseillais aimaient bien y recevoir leurs nobles hôtes.

Ainsi en 1319(4) ils y reçurent le roi Robert de Naples, qui était aussi comte de Provence, venu honorer les reliques de son frère Saint Louis d’Anjou qui furent enlevées en 1423 par Alphonse V d'Aragon lors du Sac de Marseille.

En 1516(1), Un cortège municipal y accueillit François Ier tout auréolé de sa victoire à Marignan, accompagné de la reine Claude.

Le 6 novembre 1564, le roi Charles IX, âgé de quinze ans, n’est pas encore l’instigateur de la tuerie de la Saint Barthélémy. Il vint à Marseille(5) accompagné de sa mère Catherine de Médicis, son frère le duc d'Anjou, son cousin le futur Henri IV. Au centre du Plan Saint-Michel, un trône avait été élevé sur une estrade couverte de riches étoffes.

Le 7 novembre 1622(3), c’est au tour de Louis XIII d’honorer la citée phocéenne de sa présence. Un trône surmonté d'un dais de velours bleu avait été dressé au milieu du Plan Saint Michel.

Le 8 mars 1701(1), les ducs de Bourgogne et de Berry, accompagnés de Vauban et du comte de Grignan, y passèrent en revue les troupes des galères commandées par le bailli de Noailles.

En 1814(1), la population y acclama successivement, le 19 août, le duc d'Orléans (le futur Louis-Philippe) et, le 1er octobre, Monsieur, comte d'Artois (le futur Charles X).

Dans l’euphorie de la proclamation de la république en 1848(1), un grand banquet patriotique y eut lieu au pied d'une colossale statue en plâtre représentant la Liberté.

De pauvres gens pensèrent y trouver refuge sous des tentes pendant la grande peste de 1720 ignorant que la contagion se moquait des collines(4).

C’est à la plaine Saint-Michel, rebaptisée pour l’occasion Place de la constitution, que la guillotine s’installât le 25 Juillet 1794 pour raccourcir un certain Barthélémy, fabricant de savon de son état, qui impressionna tant la foule par sa bravoure. Il fit trois fois le tour de l’échafaud et salua les assistants en s’écriant "je vais mourir pour la Patrie !".

Sur le Plan de Saint-Michel, qui s’étendait autrefois depuis l'église Notre Dame du Mont jusqu’à la place actuelle(4), s'étaient établis les Frères Minimes. Ils y construisirent un grand monastère dont le tyrannique consul Charles de Casaulx posa la première pierre le 13 janvier 1592.

Le monastère prit une importance considérable. Les Minimes s’étant entichés des sciences exactes donnèrent des savants dont Louis Éconches Feuillée, astronome de Louis XIV, et Charles Plumier, botaniste.

Ce n’est qu’au 18ème siècle que des immeubles commencèrent à border le plan qui prit alors le nom de place Saint-Michel(1).

La place ne prit sa configuration actuelle qu’au 19ème siècle avec la construction de ces fameuses maisons typiquement marseillaises dites "trois fenêtres" : trois étages sur rez-de-chaussée, chacun composé de trois fenêtres.

Elle devient une des places les plus bourgeoises et les plus paisibles de la ville.

C'est en 1883 que son sous-sol fut percé d'un tunnel de 700 mètres de long pour donner passage à un tramway qui reliait la gare de Noailles au cimetière Saint-Pierre. Marcel Pagnol raconte dans ses souvenirs d’enfance : "Le tunnel, vaguement éclairé par des lumignons dans des niches, n'était composé que de courbes et de virages : après un quart d'heure de grincements et de cahots, nous sortîmes des entrailles de la terre, juste au début du boulevard Chave, à 300 mètres de notre point de départ…. Mon père nous expliqua que cet ouvrage singulier avait été commencé par les deux bouts, mais que les équipes terrassières, après une longue et sinueuse flânerie souterraine, ne s'étaient rencontrées que par hasard."1

C'est de cette place que Louis Capazza et Alphonse Fondère se sont envolés confiant en leur technique du "parachute-lest" vers Appietto en Corse le dimanche 14 novembre 1886 vers 16h dans leur ballon Le Gabizos(6).

Jean Giono dans son roman Noé parle de la Plaine : "Du temps de ma jeunesse, il y avait au centre de cette place un bassin dans lequel évoluait un bateau à rames à forme de petit paquebot et pouvant contenir une dizaine d'enfants. Un feignant costumé en matelot faisait faire pour deux sous trois fois le tour du bassin, lentement, avec de longues pauses. Cela s'appelait le tour du monde. Chaque fois que je descendais à Marseille avec mon père, il me payait ça."

Jusqu’en 1983, on y trouvait aussi des charmantes calèches tirées par un âne pour y promener les gamins. Il y avait aussi autrefois un guignol comme au Palais Longchamp.

Depuis 1892, il s’y tient toujours un marché où résonnent sous les platanes les annonces colorées des maraichers.

Un terrain de football qui avait été installé a aujourd’hui disparu car le bruit incessant des ballons contre les grilles avait fini par exaspérer les riverains.

Si vous demandez à un vrai Marseillais où se trouve la Place Jean Jaurès, ce n’est pas faire injure à l’illustre tribun que de vous prédire qu’au mieux il vous dira probablement, après un temps d’hésitation "Ah ! oui, vous cherchez la Plaine ?"


Patrice Leterrier

5 février 2014

 

(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud

(2) Histoire de Marseille Raoul Busquet

(3) Histoire de Marseille Augustin Fabre

(4) Histoire de Marseille Amédée Boudin

(5) Histoire de Marseille Volume 1 Antoine Ruffi

(6) Marseille Zig Zags dans le passé Pierre Gallocher

 

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3 février 2014 1 03 /02 /février /2014 10:56

Place_de_Lenche_-_Marseille.jpg

À

 la suite de la chute d’un érable emporté par le mistral dans la soirée du 11 mai 2013,tous les arbres de la place de Lenche à Marseille ont été abattus.

Imaginez la colère des riverains et commerçants de la plus ancienne place de Marseille la découvrant privée de ses abris végétaux et exposée en permanence aux brûlures du soleil du midi.

Depuis le 20 novembre dernier, le scandale a pris fin puisque la municipalité a replanté dix platanes de type acerifolia vallus clausa hauts de 6 à 7 mètres.

La place a autrefois abrité l'ancienne agora grecque et plus tard le forum romain.

Bien qu’amputée de sa partie sud, suite au dynamitage par les nazis en février 1943 du quartier le plus ancien de France qui vit disparaître deux mille bâtiments sur 14 hectares, elle reste l’un des plus emblématiques témoins de la longue et tumultueuse histoire de Marseille.

Sur son flanc sud, aujourd’hui disparu, se tenait le couvent des religieuses de Saint-Sauveur érigé au Vème siècle, par Saint-Cassien qui a aussi fondé le monastère de Saint-Victor.

Ces religieuses furent surnommées les desnarado parce que, suivant l’exemple de leur abbesse Sainte Eusébie, elles se coupèrent le nez pour échapper à la lubricité des sarrasins qui dévastèrent Marseille au VIIIème siècle. Les malheureuses sauvèrent peut-être ainsi leur virginité mais pas leurs vies.(1)

Sous le couvent se trouvaient les caves de St Sauveur qui, selon la légende, abritaient la cellule de Saint Lazare, communiquant par un souterrain avec la crypte de l'abbaye de St Victor.

La place porta successivement les noms de Saint Sauveur puis de Saint Thomas en l’honneur de l’église du couvent consacrée à ce saint.

Elle adopte finalement le nom de place de Lenche au XVIème siècle en référence à l’illustre famille corse qui s'y était établie dans ce qui fût longtemps une des plus belles demeures de Marseille.

En 1588, le consul Antoine Lenche, qui dirigeait le parti des bigarrats s’opposait au premier consul Nicolas de Cépède qui, avec les ligueurs, tenait l’hôtel de Ville.

Le 26 août de cette année, il voulut s’en emparer : "couvert d’une cuirasse, orné d’un chaperon, il se mit à la tête de cinquante royalistes armés de toutes pièces"(4).

Malgré sa bravoure, qui le fit désarmer un dénommé Porcin qui le menaçait avec un pistolet pointé sur sa poitrine, la tentative échouât. Antoine Lenche se réfugia dans le couvent de l’observance.(4)

Il fut instantanément déchu de ses fonctions consulaires et déclaré "perturbateur du repos public et ennemi de la patrie".(4)

Le surlendemain, il fût découvert dans un caveau où il se cachait. "Un cardeur de laine lui ôta son chaperon et lui donna un soufflet"(4). Passant devant l’église du couvent, Antoine Lenche réussit à se dégager pour y trouver asile mais, il fut criblé de coups d’épée et de pistolet devant le bénitier.(1)

"Les ligueurs, poussant des cris de joie, foulèrent aux pieds son cadavre"(4). Son corps fut tiré hors de l’église et abandonné aux enfants, qui le traînèrent jusqu’à la porte de sa maison..Ce n’est qu’à la nuit avancée que sa veuve Jeanne Bouquin le fit prendre par ses serviteurs.

Ainsi périt le neveu et successeur de Thomas Lenche, fondateur du bastion de France et des Concessions d’Afrique(2).

Antoine Lenche avait une fille Jeanne de Lenche, qui épousa, en 1592, Honoré Riquetti de Mirabeau, l'ancêtre du fameux révolutionnaire, lui apportant en dot l'hôtel de Lenche qui devint ainsi hôtel de Mirabeau.

"Cette place était alors le seul marché de cette ville si fort agrandie depuis. Jeanne de sa terrasse voyait les chambrières et connaissait les maîtres à qui elles appartenaient. Elle remarquait celles qui achetaient le poisson le plus cher afin disait-elle de ne pas prêter son argent à leurs maîtres."(3) 

Le fils de Jeanne et d’Honoré, Thomas fut le premier à introduire à Marseille l’usage des livrées. Ses valets portaient des habits rouges et le peuple se moquait en disant "venès veire leis souisses de moussu de Mirabèu"(3)(5).

En décembre 1644, Georges de Scudéry, surtout connu comme romancier, est nommé gouverneur du Fort de Notre Dame de la Garde.

Accompagné de sa sœur, Madeleine de Scudéry femme de lettres, ils furent reçus et "traités magnifiquement"(1) dans cet hôtel. 

Le 2 mars 1660, à 4 heures de l’après-midi, le jeune roi Louis XIV, qui venait de soumettre Marseille, pénétra dans la ville par une brèche ouverte à sa demande dans les fortifications près de la porte Réale (Porte d’Aix).

Il ordonna la construction du fort Saint Nicolas dont les canons étaient dirigés à la fois vers le Port mais aussi vers la ville pour lui enlever toute velléité de se révolter à nouveau.

Durant son séjour, il logea dans l’hôtel de Mirabeau avec la reine mère et le cardinal Mazarin.

C’est tout près de la place de Lenche, rue Jean-Galant, que la peste fut diagnostiquée pour la première fois officiellement le 9 juillet 1720 sur un adolescent de treize ou quatorze ans par les docteurs Peyssonnel père et fils.

A la fin du XVIIème siècle, l’hôtel fut vendu par les Mirabeau qui achetèrent une résidence plus somptueuse encore dans les nouveaux quartiers de la rue Noailles.

L’Hôtel accueillit alors l'œuvre des enfants abandonnés puis un collège qui subsistât jusqu’à la fin du second empire.

Il servit ensuite de siège à l’œuvre des enfants de la providence avant dêtre rasé et remplacé par des constructions modernes.(1)

L’histoire ne dit pas quand les urinoirs qui s’y trouvaient au début du siècle dernier furent détruits.


Patrice Leterrier

2 février 2014

 

(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud

(2) Histoire de Marseille Raoul Busquet

(3) Mémoires biographiques Honoré-Gabriel de Riquetti Mirabeau

(4) Histoire de Marseille Augustin Fabre

(5) "venez voir les suisses de Monsieur Mirabeau"

 

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1 février 2014 6 01 /02 /février /2014 09:37

 

 

Place-Castellane.JPG


 

L

 

e parfait alignement entre la porte d’Aix et la porte de Rome dans les anciens remparts voulus par Louis XIV imposait la création de la rue de Rome qui s’arrêtait à l’époque à la hauteur de l’actuelle préfecture(1).

Le percement du Grand chemin de Rome qui prolongea la rue de Rome jusqu’à Castellane intervint en 1774, la même année où le marquis de Castellane-Majastre, propriétaire du domaine rural à l’extrémité de cet axe, offrit à la Ville son terrain pour la construction d’une place(1).

Il proposa aussi de prendre en charge les frais de son aménagement et c’est donc tout naturellement que l’endroit s’appela Place Castellane.

À l’origine elle n’était équipée en son centre que par un petit lavoir où l’on imagine que les marseillaises des environs venaient cancaner en battant leurs linges.

À la période sombre de la terreur, Etienne-Christope Maignet, le fidèle représentant de Robespierre dans la cité phocéenne, y fit célébrer la fête du déisme officiel le même jour qu’à Paris c'est-à-dire le 20 prairial (8 juin 1794)(3), ce "jour à jamais fortuné que le peuple français consacre à l'Être suprême", selon l’expression de Robespierre lui-même.

Un autel circulaire fut installé sur la place. "Ce furent les mêmes cortèges de jeunes filles fleuries, de nourrices portant des enfants nouveau-nés, de groupes allégoriques et de fonctionnaires en service commandé"(3).

Le zélé représentant de ce nouveau culte "y prononça un long discours sur le créateur, le vice, la vertu et l’immortalité de l’âme"(3) dont on peut imaginer l’emphase soporifique.

En 1809, le baron d’Anthoine, maire de Marseille, voulut donner à la place une grande fontaine avec un obélisque. Le monument érigé en 1811 fut dédié au roi de Rome qui venait de naître.

A l’autre bout de cet alignement se trouve la Porte d’Aix.

On pourrait penser que Marseille a voulu copier la capitale avec son Arc de triomphe de l’Etoile et l’obélisque de la Concorde.

Mais, pour tout dire, la rue de Rome prolongée par le Cours Saint Louis, le cours Belsunce et la rue d’Aix ne peut guère rivaliser avec les champs Elysées (même si la longueur est à peu près la même).

La place devint un carrefour encore plus vivant après le percement du Prado en 1839.

Le 22 Juin 1848, les ouvriers marseillais se révoltèrent, à l’origine pour obtenir que les journées de travail soient de dix heures comme dans la capitale.

La révolte n’eut rien de comparable avec l’insurrection parisienne sévèrement réprimée par le général Cavaignac mais "cet ouragan, effet déplorable de nos discordes civiles", marquât durablement l’esprit des marseillais.

Si la résistance la plus tenace, racontée par Emile Zola dans les mystères de Marseille, eu lieu sur la place aux œufs (place jean Guin), située à l’emplacement de l’actuel Centre Bourse, les derniers sursauts de cette révolte eurent pour théâtre la place Castellane où "s'élevaient cinq barricades, la plupart solidement construites".

 En 1857 puis en 1861, la ville achète les terrains pour ouvrir le boulevard Baille(1) qui va s’étendre sur 1300 m du Jarret, où se trouvait depuis 1844 l’asile d’aliénés, à la place Castellane renforçant ainsi son caractère névralgique.

Cette place n’avait pas finie de faire parler d’elle car en 1908 le richissime marbrier Jules Cantini souhaite y faire construire une fontaine monumentale en marbre de Carrare.

L’obélisque est donc déplacé au rond point de Mazargues.

Le sculpteur André Allar réalisa le programme décidé par Cantini lui-même.

Une allégorie de Marseille, tournée vers le port, couronne une colonne monumentale dont le socle est décoré de quatre groupes sculptés évoquant "la source ou l’Huveaune", "Le torrent ou la Durance", "Le fleuve ou le Rhône", et "La mer ou Amphitrite".

Le 12 novembre 1911, devant une foule immense, le maire Bernard Cadenat inaugure en grande pompe le monument et, pris par un lyrisme tout provençal, il compare Cantini à Crinas, qui "avait légué sa fortune pour la remise en état des fortifications et des remparts de la cité".

Lorsque Monsieur Giraud, directeur du Canal, fit jaillir l’eau des 500 jets de la couronne circulaire, la violence du Mistral rabattit les grandes eaux sur l’orchestre qui avait ouvert l’événement sur la Marseillaise et l’ouverture de Guillaume Tell obligeant les "75 malheureux musiciens à déguerpir en vitesse en protégeant leurs instruments"(2).

La fontaine fut longtemps cachée aux yeux des marseillais par les travaux interminables du métro.

Aujourd’hui les passants ne risquent guère de se faire arroser tant il est périlleux de vouloir s’approcher de la fontaine en slalomant dans le flot continu de la circulation.


Patrice Leterrier

31 janvier 2014

 

(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud

(2) Marseille zig zag dans le passé Pierre Gallocher

(3) Histoire de Marseille Raoul Busquet

(4) Un exemplaire de ce chef d’œuvre est disponible à la Bibliothèque de France et à celle de Clermont université.

 

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28 janvier 2014 2 28 /01 /janvier /2014 18:39

 

La-canebiere.jpg


 

C

 

omment parler de ce lieu mondialement connu qui, comme Notre Dame de la Garde, est presque l’éponyme de sa ville ?

César, au chapitre premier du de Bello civili, décrit Marseille baignée par la mer de trois cotés. Le quatrième côté est "le côté par lequel on arrive en venant de Gaule et d’Espagne le long de la mer qui s’étend dans la direction de l’embouchure du Rhône"(4).

Il se terminait à l’est, au fond de la calanque du Lacydon, à l’emplacement de l’actuel quai des Belges autrefois nommé plan Fourmiguier, par une zone marécageuse et insalubre.

Il s’y jetait un cours d’eau descendant du plateau Longchamp qui recevait le renfort de celles venant de la Plaine Saint Michel (place Jean Jaurès aujourd’hui), des sources Saint Bauzille, de Reynier, du Loisir, de la Poussaraque(2) pour déboucher à l’emplacement de l’actuelle place Gabriel Péri qui fût appelée autrefois le cul de bœuf.

Au moyen âge, les eaux croupissantes de ce marais refluaient dans les fossés creusés autour des remparts construit pour délimiter le territoire de la puissante abbaye de Saint Victor.(1)

Les cordiers y ont fait rouir du chanvre (Canebe en provençal) pendant des générations.

Par lettre patente du 16 juin 1666, Louis XIV ordonne l’agrandissement de la ville. Les anciens remparts du XIIIème siècle de neuf mètres de haut et de quatre mètres d’épaisseur furent détruits et les cordiers durent s’exiler dans ce qui deviendra le boulevard de la Corderie(2).

Le nouvel axe qui se terminait à l’époque au niveau du cours Belzunce fut d’abord nommé rue Saint-Louis.

La première mention du nom de Canebière apparaît dans les délibérations du conseil tenu par le Bureau des affaires de l’Agrandissement le 23 avril 1672(2).

Le 25 mars 1858, la décision fût prise d’élargir la rue de Noailles(2) pour donner avec son prolongement des allées de Meilhan à la Canebière sa configuration que nous lui connaissons aujourd’hui qui en fait cet axe si renommé qui va du Vieux Port jusqu’à l’église des Réformés sur une longueur d’un kilomètre.

La rue s'appellera Cannebière jusqu’en 1927.

Elle a perdu aujourd’hui beaucoup de la majesté que lui donnaient ses grands hôtels, ses commerces de luxe, les Nouvelles Galeries qui brulèrent le 28 Octobre 1938(2), ses salles de spectacles et surtout ses merveilleux café aux noms évocateurs de Grand café Turc , café de la Bourse, grand café du commerce, Café Riche(2,3) qui rivalisaient de luxe avec des décorations immenses et luxuriantes et qui en faisaient le cœur de l’activité de la cité phocéenne.

C’était une distraction attendue avec impatience que de descendre la Canebière en passant devant la Librairie Tacussel avec la façade en forme de livre, longeant plus loin les librairies Maupetit (toujours présente) et Laffitte (qui se trouve maintenant cours Estienne d’Orves).

J’admirais les immenses affiches des cinémas le Pathé, le Français, l’Odéon, le Meilhan qui nous faisaient rêver d’aventures exotiques.

Il n’était pas rare qu’un photographe propose d’immortaliser ce moment magique alors que je tenais sagement la main de ma mère et de ma grande sœur.

J’espérais ensuite faire flancher mes accompagnatrices pour déguster ces délicieuses minuscules viennoiseries ("Treize à la douzaine c’est tout chaud !") que l’on achetait à l’enseigne à la Lune qui succéda en 1934 à la boutique de brioches La Comète ouverte en 1913(2).

On passait avec un regard furtif devant le magasin de mode féminine Muriel au coin du cours Saint Louis dont la rumeur disait qu’il y disparaissait des jeunes filles dont on imaginait le terrible destin dans un cloaque d’extrême orient.

Plus bas j’osais à peine regarder les affiches du cinéma Raimu dont les films étaient rigoureusement interdits au moins de seize ans.

Le périple se terminait parfois chez Linder prés de la place de la Bourse où l’on dégustait des petits fours arrosés de thé.

D’autre fois, nous poussions jusqu’au bas du Vieux Port pour un rafraichissement au Mont Ventoux célèbre aussi pour les coquillages Molinari devenu en 1973 le Cintra, lieu réputé favori des marseillaises esseulées en quête de bonne aventure. Aujourd’hui c’est la Brasserie de l’OM(2).

Toutes ces enseignes ont disparu.

Les façades des rares immeubles subsistant du temps de sa grandeur ont perdu de leur superbe.

Le Grand Hôtel de Noailles n’est plus que l’ombre de lui-même. Les cariatides représentant les quatre continents de l’Hôtel du Louvre et de la paix ne sont plus gardées par des matelots en tenue comme au temps où il abritait la Marine Nationale. Les Atlantes de lhôtel Grau sombrent dans l’indifférence des passants.

La faculté des sciences inaugurée en 1857 et détruite lors des terribles bombardements du 27 mai 1944 (2) a laissé la place à un immeuble en verre sans caractère.

Le Mobile n’attire plus les foules revendicatrices.

Il reste que partout dans le monde le nom de Canebière est inséparable de celui de Marseille.


Patrice Leterrier

28 janvier 2014

 

(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud

(2) La Canebière dans le temps et dans l’espace Adrien Blès

(3) Marseille zig zag dans le passé Pierre Gallocher

(4) Histoire de Marseille Raoul Busquet

 

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23 janvier 2014 4 23 /01 /janvier /2014 13:19

Dragon.jpg


L

orsque nos lointains ancêtres se réunissaient autour d’un feu pour écouter les histoires que leur narraient des conteurs patentés, le monde était rempli de superstitions, de magiciens, de fées, de diablotins, de dragons, de sorcières, de muses, de dieux innombrables, souvent cruels et incestueux.

Ils vivaient dans un monde enchanté par toutes sortes de créatures imaginaires.

Les religions monothéistes sont venues mettre de l’ordre dans ce parnasse éclectique pour faire régner la loi d’un Dieu maître de toute chose en ce bas monde.

L’enchantement de ce monde imaginaire bien rempli devait faire place à celui d’une puissance surnaturelle omnipotente et dont les faveurs devaient permettre à certains de rêver à une vie éternelle radieuse dans l’au-delà.

L’enchantement devenait purement religieux et le monde n’avait pas d’autre explication que la volonté du tout-puissant.

Les lumières, en voulant "déniaiser le peuple" selon l’expression de Voltaire, vinrent troubler cet ordre établi en nous proposant un monde désenchanté où la course des astres suit des lois physiques et où la raison apporte, avec la science toute puissante, une compréhension de plus en plus complète et raffinée de l’ordre du monde et de la nature.

Il y a bien sûr toutes les raisons de s’émerveiller des fantastiques découvertes que les sciences nous apportent.

Elles nous donnent sans cesse une vision enrichie du monde dans lequel nous vivons.

Elles modifient profondément notre rapport aux autres et à l'environnement par les outils de plus en plus sophistiqués que la technologie permet.

En même temps nous ne pouvons que constater le profond désenchantement auquel nous ne pouvons échapper."Dans une acception plus large, l'expression recouvre le sentiment diffus d'une perte de sens, voire d'un déclin des valeurs censées participer à l'unité harmonique du monde des hommes (religion, idéaux politiques et moraux, etc.). Suivant les auteurs, le désenchantement peut être connoté positivement comme une sortie du monde de la superstition, ou bien négativement comme constituant une rupture avec un passé harmonieux." 

Si nous nous en tenons à la définition du Larousse, "désenchantement" étant le fait d’avoir perdu ses illusions, la science nous propose le contraire du monde des illusions.

Elle combat sans cesse les illusions pour nous contraindre à garder cette rigueur qui fait la grandeur de l’approche scientifique.

Mais ce n'est pas contradictoire de dire que le rapport que nous avons au monde à travers la science est d'une nature différente de celui que nous proposent la religion et les superstitions en tout genre.

En ce sens notre "enchantement" n'a rien à voir avec une sorte de sidération devant l'inexpliqué, un besoin d'y voir la main du surnaturel mais bien une sorte de jubilation, voire de "jouissance", devant la puissance magnifique de l'esprit humain!

Les sciences apportent à ceux qui les pratiquent, mais aussi à ceux qui les observent, des moments merveilleux mais la rationalité sur laquelle elles s’appuient n’a rien à voir avec un enchantement dont le Larousse dit qu’il s’agit d’"action de soumettre à un pouvoir magique".

La lumière qu’elles nous apportent ne comble pas pour autant notre incapacité à saisir une finalité à la marche de l’univers.

En ce sens elle laisse toute sa place à ce choix personnel que chacun peut faire de se laisser enchanter par des croyances.


Patrice Leterrier

23 janvier 2014

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18 janvier 2014 6 18 /01 /janvier /2014 18:43

place-royale.jpg

N

 

e cherchez pas à Marseille la place de la Bourse pourtant bien connue de tous les marseillais !

Vous ne la trouverez pas puisque cet endroit porte, depuis une délibération du conseil municipal du 16 novembre 1970, le nom du Général de Gaulle.

Cette place ne fut réalisée dans sa configuration actuelle qu’après 1784 quand fut démoli le grand pavillon de l'Arsenal des galères.

Elle a porté bien des noms depuis son origine.

Avant même sa construction, Jean-Pierre Bresson, sur un plan relevé en 1773, signale à son emplacement l’existence d’une place de la Tour et d’une salle de concert située dans l’alignement de la rue Pavillon.

Cette rue doit son nom au grand pavillon aussi appelé Pavillon de l’horloge qui donnait accès à l’Arsenal voulu par Louis XIV pour s’assurer sa suprématie en méditerranée.

La place s’appelait ainsi en l’honneur de l’intendant de Provence Charles des Gallois de la Tour qui avait vendu le 3 septembre 1781 les terrains de l'Arsenal des galères à la ville de Marseille pour qu’elle construise un nouveau quartier.

Elle s’était aussi appelée place de la paille car elle servait de parc à mulets au temps des Arsenaux.

Elle devint place Necker au temps de Louis XVI, place de la Liberté sous la révolution en 1792, place des fruits en raison d’un marché aux fruits et légumes installé à cet endroit en 1802, place Impériale entre 1803 et 1814, place royale puis place de la république en 1848.

Elle s’appela ensuite place de la Révolution en 1870, place de la Bourse de 1870 à 1970 pour enfin prendre son nom actuel.

Elle n’eut pas non plus beaucoup de succès avec les monuments qui l’ornèrent.

La fontaine surmontée d’un obélisque commandée par la municipalité en 1778 au sculpteur Dominique Fossati en l’honneur de Necker sera transférée place des Capucines en 1825.

En 1805 l’obélisque était surmonté d’un aigle que la foule brisa à la chute de l’empire le 14 avril 1814(1).

La statue de Pierre Puget, sculptée par Henri-Edouard Lombard, qui s’y trouvait, fut également déplacée en 1978 à l'extrémité du cours Pierre Puget.

Celle d’un dresseur d’oursons sculpté par Louis Botinelly se retrouve aujourd’hui sur l’Esplanade de la Tourette.

Cette place était beaucoup plus petite qu’actuellement car dans sa partie sud se trouvait un îlot de maisons avec une salle de concerts qui fut détruite le 18 janvier 1794 parce qu’elle abritait une des sections des fédérés marseillais.

L’ordre des représentants du peuple était que "les repaires où se tenaient les assemblées des sections et du comité général seraient rasés, et qu’un poteau rappelant leur révolte serait dressé sur le terrain qu’ils occupaient".

La déflagration fut telle qu’il fallut abattre les maisons avoisinantes.

A sa place on érigea le Pavillon chinois, dit lou pounchou (le pointu)(1), café qui devint une salle de bal à la réputation sulfureuse.

La mairie le racheta en 1822 pour agrandir la place royale.

En 1841 la chambre de commerce doit quitter sa "loge" de l’hôtel de ville.

Elle dut attendre la construction du palais de la Bourse dans un hall en charpente construit à la hâte sur la place royale(1).

Elle y restera jusqu’à prendre ses quartiers dans le Palais de la Bourse dont la première pierre fut solennellement posée le 26 septembre 1852 par le prince Louis Napoléon Bonaparte, qui ne deviendra empereur que le 2 décembre suivant, jour anniversaire du sacre de son illustre prédécesseur.

Huit ans plus tard, alors empereur, Napoléon III revint l’inaugurer le 10 septembre 1860 lors de sa visite où il signât aussi le décret autorisant le percement de la rue Impériale.

Pendant la révolution, la guillotine était installée à hauteur de la place.

Ce lieu a aussi vécu l’un des événements les plus dramatiques de l’entre deux guerres.

C’est en effet juste devant le palais de la bourse que "le roi preux Alexandre 1er de Yougoslavie ami de Marseille et de la France et le président Louis Barthou ministre des affaires étrangères" furent tués le 9 Octobre 1934.

Le nationaliste bulgare Vlado Tchernozemski, sous le nom d'emprunt de Petrus Kelemen, avait bien abattu le roi mais c’est la balle d’un policier qui avait touché le ministre français au bras.

Il mourut car son artère humérale avait été sectionnée et il s'était vidé de son sang faute de la pause d’un simple garrot.

L’événement fut commémoré par un monument à la gloire de la paix, œuvre de Louis Botinelly, d’Antoine Sartorio et d’Élie-Jean Vézien, inauguré le 20 juin 1941. Il est situé à l'angle de la rue de Rome et de la place de la préfecture.

Antoine Sartorio était aussi l’auteur du monument aux morts de l’armée d’Orient, qui se trouve sur la corniche au niveau du vallon des Auffes, et au pied duquel le roi Alexandre 1er devait déposer un bouquet avant de se rendre à un goûter organisé par l'épouse du préfet. Son périple dans la Delage noire découverte se termina à 16h15 devant la place de la Bourse.


Patrice Leterrier

18 janvier 2014

 

(1)  Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud

 

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