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30 janvier 2021 6 30 /01 /janvier /2021 18:19
Le monde d’ailleurs
 

 

E

tienne Klein citant Philippe Descola, nous rappelle dans son tract sur le goût du vrai la singularité du modèle de pensée occidentale dont nous nous glorifions depuis des siècles :

« Ainsi se résume la grande originalité de la pensée occidentale : aucune autre société humaine ne cohabite avec le monde non-humain (pris au sens large) sur le mode de la séparation. Les ethnologues et les anthropologues l’ont constaté depuis longtemps : nulle part ailleurs qu’au sein de l’Occident moderne, les frontières de l’humanité ne s’arrêtent aux portes de l’espèce humaine »[1]

Ce mépris pour une nature entièrement au service de l’homme est singulièrement remis en cause par la  pandémie de Covid-19 qui nous démontre à quel point cette nature que nous croyons dominer garde sur nous un pouvoir immense.

« Alors que des techno-prophètes annonçaient notre imminente libération des soucis liés à la matérialité de notre corps grâce aux nouvelles technologies, le petit coronavirus est venu cruellement nous rappeler notre « socle biologique ». Et pendant de longues semaines, au lieu de courir le monde et de nous rendre encore un peu plus « comme maîtres et possesseurs de la nature », nous avons dû sagement rester chez nous, nous confiner comme faisaient nos ancêtres[2].

À la veille d’un reconfinement, qui paraît tout de même inévitable,  malgré ces dernières convulsions du pouvoir pour éviter les conséquences terribles à la fois économiques et sociales, ne serait-il pas temps de prendre enfin conscience qu’il ne s’agit pas de rêver un monde d’après comme une sorte de continuité en mieux de cette vision anthropocentriste, cette sorte de possession à notre usage exclusif de la nature ?

Ne s’agit-il pas plutôt que d’un monde d’après d’un monde d’ailleurs ?

Il nous faut envisager sérieusement un changement radical du paradigme actuel qui ne cesse de démontrer son inefficacité et sa dangerosité.

Pourra-t-on continuer à ignorer ces alertes incessantes que sont :

° le fossé grandissant entre les nantis et les déshérités,

° l’effondrement inquiétant de la biodiversité,

° l’épuisement des ressources que l’homme s’est accaparé sans discernement,

° la pollution des sols et des océans,  

° le réchauffement climatique anthropique dont les effets réels et observables aujourd’hui sont pires que les pires prédictions des savants,

° cette entrée brutale, prévisible mais absolument pas anticipée dans l’ère des « zoonoses », c’est-à-dire des infections virales brisant la barrière inter-espèces pour se propager de l’animal à l’homme, et dont les bouleversements écologiques induits par l’activité humaine favorisent la diffusion[3]. 

La procrastination endémique nous pousse à toujours vouloir retrouver le mode d’avant en mieux, oubliant qu’il vient de nous faire cruellement la démonstration de son inadéquation.

Faut-il céder à cette peur du futur aveugle qui pousse certains  à écouter les sornettes de ces dangereux incendiaires qui désignent les coupables, les incapables qui nous gouvernent et ces autres qui nous rendent la vie impossible, plutôt qu’à regarder la réalité en face ?

Devant l'assemblée plénière du IVe Sommet de la Terre, le 2 septembre 2002 à Johannesburg, en Afrique du Sud. Jacques Chirac avait eu cette phrase prophétique  « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

Certes cette belle phrase n’avait pas vraiment changé grand-chose mais elle prend aujourd’hui une actualité d’autant plus brulante que deux décennies se sont écoulées depuis sans que les locataires de la maison Gaïa n’aient vraiment fait grand-chose pour éteindre l’incendie.

Patrice Leterrier

30 janvier 2021

Fichier PDF

 

[1] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005, p. 15.

[2] Etienne Klein Le goût du vrai, Gallimard p. 54

[3] Etienne Klein Le goût du vrai, Gallimard p. 52

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