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20 mars 2009 5 20 /03 /mars /2009 17:25


O

n le soupçonnait, on s’en doutait mais comment mettre en cause d’honorables personnages qui se vêtent parfois d’accoutrements d’un autre siècle et de chapeaux pouvant sérieusement concurrencer les incroyables coiffes de la reine d’Angleterre. Le chercheur californien Robert Hodgson vient d’en faire la démonstration flagrante, assez peu honorable et un tantinet ridicule pour ces experts. Lors de la California State Fair, il vient de réaliser la première étude sur les compétences des œnologues, critiques, vignerons et autres spécialistes qui jugent les crus qui leur sont proposés. Lors d'une dégustation à l'aveugle, il a servi le même produit à trois reprises, à différents moments. Publiés voici peu dans le Journal of Wine Economics, les résultats montrent que rares sont ceux qui se sont aperçus de la supercherie. Le plus troublant sur la compétence de ces supposés possesseurs de papilles gustatives ultrasensibles et de nez d’exception, c’est que, pour beaucoup, leurs appréciations du même vin varient énormément. Seuls 10 % des juges ont donné une appréciation similaire chaque fois qu’ils ont goûté le même produit. Les autres lui ont attribué une évaluation tantôt meilleure, tantôt moins bonne, en fonction de l'humeur du moment. Les plus mauvais sujets, au total 10 % des juges, paraissent avoir tout bonnement jugé au hasard et non au pif puisque cet appendice joue un rôle essentiel dans le goût. Après avoir d’abord déclaré qu'une bouteille méritait la médaille d'or, ils l'ont qualifiée de médiocre lors de la seconde dégustation. La conclusion qui s’impose donc, après ce test incontestable d’objectivité, c’est que l'attribution d'une médaille dépend avant tout du hasard et non de la qualité du vin. La preuve est donc faite que les êtres humains n'ont tout simplement pas les qualités requises pour établir avec fiabilité ce type de jugement, pas même de soit-disant "experts". Il y a deux ans, les grands jurés testés par Robert Hodgson avaient couronné un cru distribué par Trader Joe's (l’équivalent américain de Leader Price) comme le meilleur chardonnay de Californie. Cette bouteille de piquette industrielle à 2 dollars leur est apparue maintes fois plus délicate que des rivales censées d’une toute autre qualité… J’entend déjà les commentaires gloseurs de certains me reprochant de comparer les bouches à jamais massacrées par les cocas colas, hamburgers et autres chefs d’œuvres de la gastronomie (c’est une injure pour ce mot mais je n’en ai pas d’autre…) américaine avec les fins palais de nos experts français délicatement entrainés à déguster les merveilles de nos grands chefs. Voire! Je prendrais bien le pari qu’un tel test en France donnerait des résultats assez comparables. Car Juger un vin est une affaire bien mystérieuse, presqu’ésotérique. D’ailleurs ceux qui se targuent de savoir le faire se cachent, signe habituel d’ignorance, derrière une multitude de qualificatifs abscons pour le commun de mortels comme chaleureux, corsé, coulant, boisé, empyreumatique, enveloppé, épais, épanoui, équilibré, étoffé, faible, ferme, fondu, franc, frais, gouleyant, harmonieux, musqué, onctueux, ouvert, plat, plein, puissant, raide, râpeux, rond, rude, sévère, solide, soyeux, vert…Au fond les arômes ne jouent qu'un rôle secondaire dans ce déluge de vocabulaire. D’ailleurs une équipe de psychologues de Mayence a récemment montré que même la couleur de la lumière ambiante pouvait être déterminante. Au final, rien n'est aussi important que le prix. Car comment ne pas apprécier le bouquet d’un vin lorsque son prix atteint des sommets himalayens? Que celui qui ne s’est jamais extasié, par convenance sociale ou simplement par peur du ridicule, en dégustant une bouteille cajolée par son heureux propriétaire comme un joyau rare me jette la première pierre…symbolique cela s’entend bien sûr. Même si ma vanité naturelle me pousse à me croire capable de distinguer un bon vin d’une infâme piquette, je ne prendrai aucun pari sur ma capacité à déjouer le piège imaginé par le malicieux Robert Hodgson.


Patrice Leterrier

20 Mars 2009

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