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aron Swartz a mis fin à ses jours à l'âge de 26 ans.
Ce jeune prodige du Web, qui avait participé à l’invention des flux RSS alors qu'il n'avait que 14 ans, avait fait du libre accès sur internet son combat.
La mise en ligne de l’intégralité des 4,8 millions d'articles scientifiques du site JSTOR lui avait valu une mise en examen en 2012. Il risquait jusqu’à 35 ans de prison et un million de dollars d’amende.
Il serait assez indécent de prendre le corps d'Aaron Swartz en otage même de la cause qu'il défendait par la révolte.
Cet hyperactif souffrait de dépression et son suicide est une affaire personnelle qui ne peut être revendiquée par personne même si son combat doit continuer pour permettre un plus libre accès aux publications scientifiques.
Les pétitions des chercheurs contre les pratiques commerciales du groupe Elsevier et d'autres mouvements d'universitaires montrent que son action n'a pas été vaine même si le chemin à parcourir sera long et semé d’embuches.
Les chercheurs sont trop souvent prisonniers d’un impossible équilibre entre recherche et course à la publication.
Les universitaires subissent une sorte de "double peine" de la part des sociétés d’éditions qui publient les articles en ne rémunérant ni les auteurs ni les relecteurs et en faisant payer l’accès.
Au-delà de ce problème de l’accès libre aux publications scientifiques, se pose un problème d’équilibre délicat avec la protection de la propriété intellectuelle.
Ce droit à l’accès à la connaissance pourrait prendre la forme d’une annexe de la déclaration universelle des droits de l'homme, comme celle que réclame Tim Berners Lee pour le droit à l’accès à internet.
Reste à définir les règles à appliquer car malgré tout, et même si leurs abus sont condamnables, les éditeurs comme Jstor, Elsevier et d’autres ont besoin de financer leur activités.
Comment accepter qu’elles ne puissent recourir qu’aux mannes des annonceurs qui auraient alors une sorte de pouvoir sur le contenu des publications ?
Dans son manifeste, Aaron Swartz écrit "la justice ne consiste pas à se soumettre à des lois injustes".
C'est clairement un appel à la désobéissance civique qui montre la limite entre la revendication et la position de hors la loi qui ne peut que tomber sous le coup de la loi dans un état de droit même quand on prend la posture de Robin des bois comme le regretté Aaron Swartz.
Les investissements en recherche constituent de plus en plus des actifs stratégiques dont dépend souvent la survie des entreprises.
Les citoyens financent les recherches publiques qui contribuent aussi à la compétitivité d’un état.
Elles conditionnent donc indirectement leurs conditions de vie.
Leurs résultats doivent-ils être rendus en libre accès, sans contrepartie au nom du droit à l’accès à la connaissance ?
Peut-on extraire la science et ces publications des conditions économiques dans lesquelles elles se développent ?
Personne de sérieux ne voudrait voir disparaître la notion de propriété intellectuelle, de la protection des innovations par les brevets même si certains pays les pillent régulièrement et sans complexe.
Pourquoi certaines publications qui débouchent sur des avancées technologiques majeures devraient-elles être en libre accès alors qu’elles peuvent conditionner la création d’emplois dans les pays industrialisés qui consacrent des sommes respectables à la recherche et qui ne peuvent concurrencer des pays où les droits des travailleurs et des enfants ne sont pas, et de loin, au même niveau ?
Il y a probablement une différence importante entre ce qui relève du domaine public, qui devrait être accessible par tout le monde et partout et ce qui relève de propriété intellectuelle (état, université, entreprise ou particulier) et qui mérite d’être protégé d’un pillage qui, s’il n’est pas "moralement équivalent à l’abordage d’un vaisseau et au meurtre de son équipage", n’en reste pas moins un acte délictueux.
wiki.partipirate.org cite le Dalaï-lama en hommage à Aaron Swartz : "Share your knowledge, that is the only way to achieve immortality"
Belle vision humaniste qui se heurte tout de même au mur de la réalité de la compétition qui fait de plus en plus de la connaissance et du savoir-faire le principal pilier de la survie des entreprises et des états dits développés.
Patrice Leterrier
17 janvier 2013