Une fenêtre ouverte sur le monde
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ujourd’hui tout notre univers est codé. Lorsque nous parlons du génome humain, du code de la vie, c'est en réalité de son image en binaire dont nous parlons.
Si, comme l’affirme Alfred Korzybski, la carte n'est pas le territoire, le codage n'est pas plus l'objet qu’il code.
Mais dans le monde virtuel numérique et "internautique" dans lequel nous baignons le rôle du codage devient primordial.
Alors pourquoi ce monde numérique est-il aussi binaire alors que nous comptons essentiellement en décimal (sauf pour l’heure) et les anglais, qui ne font rien comme tout le monde, dans des bases multiples ?
Pourtant il est aisé de démontrer que le codage le plus "efficace" devrait être théoriquement la base du logarithme népérien, le nombre réel e qui vaut 2,71828..., ce qui justifia les tentatives d'ordinateurs ternaires.
Elles ont été essentiellement l’œuvre les russes comme le Setun, conçu en 1958 en Union soviétique à l'Université d'État de Moscou par Nikolaï Broussentsov.
Pour éclairer par l'exemple ce qu'on entend par "meilleur" système de numération, prenons un exemple simple :
Avec 3 groupes de 10 chiffres soit au total 30 positions élémentaires, on représente des nombres de 0 à 999 en système décimal.
Avec les même 30 positions en système binaires on aura 15 groupes de 2 chiffres qui permettent de représenter des nombres de 0 à 32 767.
En ternaire, on dispose de 10 groupes de 3 chiffres soit des nombres de 0 à 59 048.
Mais les systèmes de numération n'ont pas toujours eu comme base 10.
Elle ne s’est imposée en France qu’avec l’adoption du système métrique décimal le 7 avril 1795.
Les babyloniens utilisaient la base 60 dont il reste aujourd'hui des vestiges avec la façon dont on compte les heures et le nombre 60 et 10
Ils écrivaient les nombres en alignant les puissances de soixante, 5 dizaines et 9 unités.
Ainsi, parexemple, le nombre 4 655 s'écrivait :
Soit en écriture décimale 1, 10 et 7, 30, 5 qui représente : 602+17*60+30+5=4 655
On remarquera aussi que les babyloniens ne codait d’abord pas le zéro.
Les scribes introduiront plus tard un séparateur
ou
pour distinguer clairement
2
de
61
mais il ne s’agissait pas d’un nombre, probablement introduit par les indiens et repris et diffusé par les arabes.
Revenons à la démonstration du "meilleur" système de numération.
Soit un système de numération de base unique (on ne considère donc pas les systèmes à bases multiples comme le système babylonien par exemple).
En utilisant l’écriture positionnelle, avec m chiffres il sera possible d’écrire au maximum N=bm nombres compris entre zéro (tous les chiffres sont nuls) et bm - 1 (tous les chiffres sont égaux à b-1, qui est le chiffre maximal dans le système de base b).
Le nombre total de chiffres nécessaires pour représenter n’importe quel numéro de l’ensemble N sera m*b (b chiffres (y compris 0) dans chacune des m positions).
Le système le plus économique sera donc celui qui, pour un N donné, emploiera le nombre le plus réduit d’éléments de représentation, c'est-à-dire celui qui rendra la fonction m*b minimum.
En remplaçant m par LN(N)/LN(b) (LN pour logarithme népérien), ce minimum coïncidera avec celui de b/LN(b) dont la dérivée s’annule pour LN(b)–1=0 soit LN(b)= 1 ou b=e, base des logarithmes népériens qui vaut 2,71828…
La base entière la plus proche de e est 3 et donc le système ternaire est plus avantageux que le système de base 2.
On peut aussi dire que, même si le système ternaire est plus complexe, il se base tout de même sur 3 états possibles facilement réalisable en électronique : pas de potentiel, potentiel positive, potentiel négative alors que le système binaire ne mesure que la présence ou l’absence de potentiel électrique.
Notons également que la mise en œuvre d’un système ternaire peut s’accompagner de l’implémentation d’une logique non booléenne, c'est-à-dire l’abandon du principe du tiers exclu, qui est la base de tous les circuits électroniques actuels.
La logique ternaire n’est cependant pas si antinaturelle qu’il y parait.
Déjà, dans le banquet, Platon utilisait déjà des formulations trivalentes comme favorable, défavorable, indifférent qui sont si souvent utilisées dans les sondages ou encore morale, immorale, amorale.
Mais, malgré les espoirs en matière d’évolution de la logique et de la numération ternaire, la simplicité et l’explosion de la technologie binaire, selon la loi de Moore toujours applicable, font que le monde numérique d’aujourd’hui est résolument et probablement définitivement binaire.
Puissions souhaiter que la pensée humaine ne soit pas elle aussi binaire et manichéenne…
Patrice Leterrier
13 avril 2014