Une fenêtre ouverte sur le monde
L |
a plus grande partie des sollicitations qui assaillent en permanence nos sens n’arrivent pas à franchir le mur que notre cerveau s’escrime à construire pour nous foutre une paix royale.
Il daigne cependant nous en présenter une infime partie que nous nous empressons d’oublier avec insouciance.
Nous avons d’autant moins de scrupule à nous livrer à ce salutaire nettoyage qu’il faut bien reconnaître que ces événements, ces pensées, ces sentiments, ces émotions sont en général d’une banalité affligeante.
Au demeurant il n’est pas difficile d’imaginer qu’un monde où l’effaceur universel qui nous habite n’existerait pas serait totalement invivable.
Outre l’encombrement que cela provoquerait dans nos milliards de neurones, il faut bien reconnaître que l’intérêt d’une telle capacité mnésique serait plus que discutable.
Que nous apporterez de retenir des anecdotes aussi insignifiantes que, par exemple, la couleur de la cravate de son supérieur hiérarchique le mercredi 21 novembre dernier ?
Seulement voilà que les grands manitous du big data s’échinent à vouloir tracer nos moindres mouvements, posts, tweets, vagabondages sur internet.
Ils pensent ainsi pouvoir saisir notre personnalité intime au prétexte fallacieux de mieux cibler les choix qu’ils nous proposent.
Ils ont la fatuité de penser que nos traces sont les composantes secrètes de notre être intime.
Pensant ainsi percer nos secrets cachés, ils font de ce qu’ils croient être notre intimité, un bien de consommation qu’ils proposent à des gogos persuadés que la profondeur infinie des algorithmes que ces gourous du profilage peaufinent est un gage de la pertinence des cibles qu’ils leur offrent.
Si, par exemple, nous sommes allés vagabonder par hasard sur un site de vente de canaris lors d’une séance de serendipité paresseuse, ces savants découvreurs de nos goûts s’acharneront à nous proposer des offres d’achat d’oiseaux aux ramages plus superbes les uns que les autres.
L’insistance qu’ils ne manqueront pas d’avoir à nous soumettre à un matraquage publicitaire aura d’autant plus tendance à nous agacer fortement qu’il contribuera à rendre indélébile un événement que nous avions toute les raisons d’oublier.
Alors vous les apprentis sorciers qui pensaient pouvoir tout savoir de nous en nous pistant dans nos moindres gestes sur nos ordinateurs, tablettes ou autres portables, foutez nous la paix !
Sachez que vous passez à côté de l’essentiel de nos motivations, que vous perdez votre temps en dépensant ces millions de flops de vos puissants ordinateurs et ces milliards de gigabytes de données de vos bases tentaculaires.
Nous sommes avant tout des êtres d’oubli et retenir les faits anecdotiques de notre sillage sur internet ne vous dévoilent qu’un instant de notre trajectoire dont il y a de fortes chances que nous l’oublierons rapidement.
Ces géants de l’internet participent à la création d’un dangereux flicage qu’il faudra bien un jour interdire.
Ils font à notre insu un commerce bien indélicat de nos faits et gestes.
L’homme est fait pour oublier mais la vie en société est aussi faite pour qu’on oublie ce que vous avez fait du moins dans le cas où cela ne nuit pas à autrui ce qui est tout de même la majorité des cas.
Internet est un merveilleux outil de connaissances et d’informations mais il pourrait, si nous n’y prenons pas garde, devenir un puissant outil de violation permanente de la vie privée si ce n’est déjà fait.
Patrice Leterrier
24 juin 2013