Une fenêtre ouverte sur le monde
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eut-être avez-vous en mémoire un souvenir de votre prime jeunesse dont vous ne savez plus s’il est la trace de votre vécu ou la réminiscence bien arrimée d’événements que l’on vous a tellement racontés dans votre enfance que vous avez fini par vous l’approprier comme un souvenir personnel ?
Après les attentats du 11 septembre, une équipe de psychologues, dirigée par William Hirst et Elizabeth A. Phelps, a interrogé plusieurs centaines de personnes sur leurs souvenirs de cette terrible journée.
Un an après le terrible événement, plus d’un tiers des personnes interrogées avait modifié leur récit de leurs souvenirs de ce drame.
Mieux encore, 3 ans après, ils étaient plus de la moitié à changer de version et certains avaient même modifié l’endroit où ils se trouvaient au moment des faits.
Bien sûr, on connaissait depuis longtemps le caractère subjectif des témoignages qui peuvent fluctuer de façon considérable d’une personne à une autre, mais il était plus ou moins admis que les souvenirs, notamment ceux chargés d’un forte composante émotionnelle, s’imprimaient de manière presqu’indélébile dans notre mémoire justifiant l’expression "je m’en souviens comme si c’était hier !".
Les découvertes faites par Karim Nader, Glenn Shafe et Joseph LeDoux ont montré qu’en fait les souvenirs ne sont pas stockés comme dans un ordinateur sur une mémoire statique en charge de les retenir mais reconstruits chaque fois que nous les rappelons et que cette reconstruction modifie en retour les éléments dispersés dans le cerveau qui ont conduits à évoquer le souvenir.
Nous modifions inconsciemment nos souvenirs en les rappelant notamment parce que les conditions dans lesquelles se manifestent le souvenir n’ont plus grand-chose à voir (et c’est souvent heureux) avec celles qui prévalaient au moment où nous avons vécu l’événement.
Cette découverte n’expliquerait pas le mécanisme de fabrication du souvenir si Todd C. Sacktor,Professeur de physiologie, de pharmacologie et de neurologie au Sunny Dowstate Medical Center de New York n’avait découvert que la protéine kinase C appelé PKMzeta jouait un rôle fondamental dans la fabrication des souvenirs.
Plus encore, dans des expériences menées sur les rats, T. Sacktor et ses collègues ont réussi à renforcer ou au contraire à effacer le souvenir d’expériences en stimulant ou au contraire en inhibant l’effet de cette protéine.
Ce qui paraît le plus fascinant dans les travaux des chercheurs c’est cette capacité d’effacer des souvenirs (en l’occurrence désagréables pour les muridés) par simple inhibition de la protéine PKMzeta.
Cette découverte laisse entrevoir des espoirs thérapeutiques pour le traitement de personnes victimes de chocs post-traumatiques mais également pour d’autres pathologies comme les troubles obsessionnels compulsifs ou encore les toxicomanies largement alimentées par des souvenirs envahissants.
On peut aussi frémir d’effroi en imaginant un monde où les individus ne pourraient plus disposer librement de leurs souvenirs.
Bien sûr on est encore loin des expériences de laboratoire à des pilules "effaceuses" de la mémoire mais une fois de plus on voit que la dimension éthique est indissociable de la recherche scientifique.
Patrice Leterrier
20 février 2012