Une fenêtre ouverte sur le monde
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ean-Baptiste Hugues, sculpteur marseillais, doit une grande partie de sa célébrité à la muse de la source qui se trouve maintenant au musée d’Orsay.
Elle fut longtemps dans le salon Berthelot du palais du Sénat où les sénateurs avaient, dit-on, l’habitude de caresser le sein gauche de la pompe funèbre car la légende voulait que le modèle du sculpteur ait été Marguerite Steinhel.
La célèbre maitresse du Président Felix Faure, mort en épectase durant une fellation qu’elle lui prodiguait dans le salon bleu de l’Elysée, n’était pas en réalité le modèle.
Elle ne pouvait l’être, malgré la ressemblance, car Jean Hugues songeait à son visage dès 1881 et Madame Stenheil n’avait alors que 12 ans.
Mais Jean-Baptiste Hugues est aussi l’auteur du groupe moins connu représentant les danaïdes qui orne la fontaine qui se trouve square Stalingrad à Marseille.
L’endroit s’appela d’abord en 1808, cours du Chapitre.
Il se situe à l’emplacement d’une importante propriété appartenant au chapitre de la cathédrale, la vieille Major, mise en adjudication aux enchères publiques comme bien national le 26 mai 1791(1).
Au milieu du XIXème siècle, le cours du chapitre n’était encore qu’un vaste terrain vague où l’on jouait aux boules.
Sous la IIIème République, la Ville de Marseille, lourdement endettée par les grands travaux du second empire, avait abandonnée les projet somptueux.
Le projet d’aménagement du cours du Chapitre n’avait pas certes le prestige du percement de la rue de la République ni celui de la construction du Palais Longchamp.
La Ville y installe d’abord un bassin en 1896 pour commémorer la visite en France du tsar Nicolas II et de la tsarine Alexandra du 5 au 9 octobre 1896 tandis que la capitale construisait le pont Alexandre III pour l’occasion.
En 1904, Jean-Baptiste Hugues propose d’installer en son centre son projet de fontaine avec le concours de l’État. Le maire Amable Chanot accueille favorablement cette proposition.
Le monument est prêt pour une inauguration en 1907 mais il ne le fut jamais car son cofinancement impliquait la présence d’un membre du gouvernement.
Le 19 Septembre 1913, près de 6 ans après sa mise en place, le maire Amable Chanot écrivait encore à l’artiste "Le séjour de M. Poincaré à Marseille sera de trop courte durée pour qu’on puisse espérer qu’il y soit ajouté l’inauguration de la fontaine des Danaïdes".
Le groupe de Jean Hugues reprend l’histoire issue de la mythologie grecque des 50 filles du roi Danaos, condamnées par les juges de morts à remplir sans fin un tonneau pour avoir tuer leurs époux et cousins le jour de leurs noces à la demande de leur père.
Seule l’ainée, Hypermnestre, désobéit à son père car son époux Lyncée avait respecté sa virginité.
L’œuvre de Jean Hugues représente cinq de ces gracieuses nymphes remplissant vainement le fameux tonneau devenu le symbole d’une tache impossible.
Au début du XXème siècle, la présence des platanes font du cours, rebaptisé successivement cours Joseph Thierry puis cours Stalingrad, "l’un des coins les plus ombragés et les plus frais de la cité phocéenne".
Les promeneurs s’y attardaient à la terrasse de la grande Brasserie du Chapitre qui se trouvait à l’emplacement de l’actuelle poste.
À partir de 1908, la brasserie des Danaïdes s’installe en face(2).
Elle s’y trouve toujours et, dans ma jeunesse, était le siège d’un club d’échecs où je venais régulièrement jouer.
J’avais comme professeur bénévole un vieil homme qui ne roulait pas sur l’or, si on peut se fier à sa mise plus que modeste, mais qui m’enseignât en bougonnant les règles de l’art de ce jeu dont la légende prétend qu’il fut inventé par le sage brahamne Sissa.
Patrice Leterrier
16 mars 2014
(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud. Cependant Laurent Noet attribue plutôt cette propriété aux chanoines de Saint Victor.
(2) Laurent Noet : Le Cours du Chapitre à la belle époque I