Une fenêtre ouverte sur le monde
Chester Carlson et son invention
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n 1967, le jeune ingénieur en optique Gary K. Starkweather n’avait pas encore 30 ans. Il avait intégré le prestigieux laboratoire Webster Research Center de Xerox à Rochester. Les moyens étaient considérables et les salles machines étaient pleines de ces mainframes qui fleurissaient comme des champignons à cette époque.
Cet homme, qui allait se distinguer par son originalité, son attachement à la religion et son entêtement à poursuivre ses idées envers et contre tous, se posa cette question à priori folle à l’époque et surtout iconoclaste dans l’empire de la copie : "What if, instead of copying someone else's original, which is what a facsimile does, we used a computer to generate the original?"(1)
A cette époque les lasers étaient des instruments hors de prix mais cela ne troubla pas Gary qui était persuadé que leur coût allait drastiquement baisser dans les années à venir.
Lorsqu’il parla à ses chefs de son idée d’utiliser un rayon laser pour imprimer directement sur un copieur xérographique, ceux-ci pensèrent avoir la confirmation que ce garçon était définitivement fou.
Pendant longtemps la production de document typographique était restée l’apanage de spécialistes manipulant des appareils complexes hors de portée de tout un chacun qui raffinaient sans en changer le principe l’invention de Jean Gutenberg redécouvrant en 1450 la typographie déjà inventée par les chinois vers le 11ème siècle.
Quant à la reproduction elle faisait appel a des procédés chimiques comme la diazographie, héritière de la technique du cyanotype, mise au point en 1861 par Alphonse Poitevin.
Le brevet, déposé le 4 avril 1939 par un certain Chester Carlson, allait radicalement changer le monde de la copie.
Ce jeune chercheur américain de 33 ans avait réussi pour la première fois une dry-copy par un procédé d’électrophotographie qui allait révolutionner le monde de la reproduction sous le nom de Xérographie (du grec xeros qui signifie sec et graphein pour écrire ou graver).
Le processus est basé sur le dépôt de poudre d’encre chargé électriquement sur un support ayant été polarisé par des rayons lumineux avant de la transférer sur papier.
Le principe général de l'électrophotographie aurait été découvert par le physicien français Jean-Jacques Trillat en 1935. Il le présenta à la société Kodak qui déclara l'invention sans avenir commercial.
Chester Carlson essuya lui aussi un refus de Kodak. Il vendit son brevet à l'institut américain Batelle Development Corporation qui le revendit à son tour en 1947 à une petite firme l’Haloid Company qui allait, grâce à cette innovation, devenir le géant Xerox en empruntant la racine du procédé de Carlson comme nom.
A la fin des années 60, à l'échéance du brevet d'invention, Xerox vivait sur son empire du copieur dont il détenait 95% du marché et ne marquait qu’un goût très limité pour la nouveauté.
Mais, malgré la réticence de ses chefs, Gary K. Starkweather, s’entêta en dépit des menaces de lui retirer son équipe s’il continuait ses expériences folles.
Il poursuivit ses travaux en secret. Le premier prototype de son imprimante laser fut opérationnel en 1969. Il l’avait construit en bidouillant un copieur xérographique.
Gary Starkweather avait remplacé le système de capture d’image par un dispositif de 8 miroirs déviant un rayon laser pour insoler le tambour du copieur. La machine fut construite en moins de deux semaines mais le logiciel pris environ 3 mois pour être mis au point.
Lorsqu’il entendit parler de l’ouverture du centre Xerox PARC de Palo Alto à trois milles du siège de Xerok à New York, Gary alla trouver un vice President de Xerox et le menaça de quitter l’entreprise pour rejoindre IBM.
Il finit par obtenir gain de cause et rejoignit le centre en janvier 1971. Dans les dix mois qui suivirent son arrivée, il put concrétiser son projet. Il nomma sa création SLOT, un acronyme pour Scanned Laser Output Terminal. Le système de commande numérique et générateur de caractères pour l'imprimante ont été développées par Butler Lampson et Ronald Rider en 1972.
Après avoir mis au point l'imprimante EARS pour le réseau du système informatique Alto du PARC, les travaux de Gary Starkweather permirent le lancement du système Xerox 9700 qui suivit celui de l’imprimante IBM 3800 qui régnât longtemps dans les grands centres informatiques.
Mais les dirigeants de Xerox, trop frileux et jaloux de conserver leur empire, ne virent pas que le mariage de la xérographie, du laser et de l’informatique allait bouleverser définitivement le monde de l’impression personnelle.
Ils ne perçurent pas l’intérêt des imprimantes lasers pour l’informatique individuelle dont le modèle économique était basé sur le coût des toners et du papier.
Une fois de plus, Ils laissèrent le champ libre à un concurrent, Hewlett-Packard, qui introduisit avec le succès qu’on connait la première imprimante Laser individuel en 1980.
Gary finit par quitter Xerox en 1987 au bout de 24 années de bons et loyaux services pour rejoindre Apple en 1987. Dix ans plus tard il intégra Microsoft où il est toujours
Lors d’une récente interview il déclarait "The corporate immune system often rises up to kill an new idea that threatens to challenge the way business is presently being done."(2)
L’histoire de Xerox, innovateur avec l’ordinateur révolutionnaire Alto et l’imprimante laser, est un parfait exemple de ce travers génétique des géants qui dominent leur marché.
Patrice Leterrier
30 avril 2014
(1) Et si, au lieu de copier l'original de quelqu'un d'autre, de faire un fac-similé, nous utilisions l’ordinateur pour produire l'original?
(2) Le système immunitaire de l'entreprise se mobilise souvent pour éliminer toute idée nouvelle qui risquerait de remettre en question la façon dont elle fait actuellement ses affaires.