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Une fenêtre ouverte sur le monde

La Place de Lenche

Place_de_Lenche_-_Marseille.jpg

À

 la suite de la chute d’un érable emporté par le mistral dans la soirée du 11 mai 2013,tous les arbres de la place de Lenche à Marseille ont été abattus.

Imaginez la colère des riverains et commerçants de la plus ancienne place de Marseille la découvrant privée de ses abris végétaux et exposée en permanence aux brûlures du soleil du midi.

Depuis le 20 novembre dernier, le scandale a pris fin puisque la municipalité a replanté dix platanes de type acerifolia vallus clausa hauts de 6 à 7 mètres.

La place a autrefois abrité l'ancienne agora grecque et plus tard le forum romain.

Bien qu’amputée de sa partie sud, suite au dynamitage par les nazis en février 1943 du quartier le plus ancien de France qui vit disparaître deux mille bâtiments sur 14 hectares, elle reste l’un des plus emblématiques témoins de la longue et tumultueuse histoire de Marseille.

Sur son flanc sud, aujourd’hui disparu, se tenait le couvent des religieuses de Saint-Sauveur érigé au Vème siècle, par Saint-Cassien qui a aussi fondé le monastère de Saint-Victor.

Ces religieuses furent surnommées les desnarado parce que, suivant l’exemple de leur abbesse Sainte Eusébie, elles se coupèrent le nez pour échapper à la lubricité des sarrasins qui dévastèrent Marseille au VIIIème siècle. Les malheureuses sauvèrent peut-être ainsi leur virginité mais pas leurs vies.(1)

Sous le couvent se trouvaient les caves de St Sauveur qui, selon la légende, abritaient la cellule de Saint Lazare, communiquant par un souterrain avec la crypte de l'abbaye de St Victor.

La place porta successivement les noms de Saint Sauveur puis de Saint Thomas en l’honneur de l’église du couvent consacrée à ce saint.

Elle adopte finalement le nom de place de Lenche au XVIème siècle en référence à l’illustre famille corse qui s'y était établie dans ce qui fût longtemps une des plus belles demeures de Marseille.

En 1588, le consul Antoine Lenche, qui dirigeait le parti des bigarrats s’opposait au premier consul Nicolas de Cépède qui, avec les ligueurs, tenait l’hôtel de Ville.

Le 26 août de cette année, il voulut s’en emparer : "couvert d’une cuirasse, orné d’un chaperon, il se mit à la tête de cinquante royalistes armés de toutes pièces"(4).

Malgré sa bravoure, qui le fit désarmer un dénommé Porcin qui le menaçait avec un pistolet pointé sur sa poitrine, la tentative échouât. Antoine Lenche se réfugia dans le couvent de l’observance.(4)

Il fut instantanément déchu de ses fonctions consulaires et déclaré "perturbateur du repos public et ennemi de la patrie".(4)

Le surlendemain, il fût découvert dans un caveau où il se cachait. "Un cardeur de laine lui ôta son chaperon et lui donna un soufflet"(4). Passant devant l’église du couvent, Antoine Lenche réussit à se dégager pour y trouver asile mais, il fut criblé de coups d’épée et de pistolet devant le bénitier.(1)

"Les ligueurs, poussant des cris de joie, foulèrent aux pieds son cadavre"(4). Son corps fut tiré hors de l’église et abandonné aux enfants, qui le traînèrent jusqu’à la porte de sa maison..Ce n’est qu’à la nuit avancée que sa veuve Jeanne Bouquin le fit prendre par ses serviteurs.

Ainsi périt le neveu et successeur de Thomas Lenche, fondateur du bastion de France et des Concessions d’Afrique(2).

Antoine Lenche avait une fille Jeanne de Lenche, qui épousa, en 1592, Honoré Riquetti de Mirabeau, l'ancêtre du fameux révolutionnaire, lui apportant en dot l'hôtel de Lenche qui devint ainsi hôtel de Mirabeau.

"Cette place était alors le seul marché de cette ville si fort agrandie depuis. Jeanne de sa terrasse voyait les chambrières et connaissait les maîtres à qui elles appartenaient. Elle remarquait celles qui achetaient le poisson le plus cher afin disait-elle de ne pas prêter son argent à leurs maîtres."(3) 

Le fils de Jeanne et d’Honoré, Thomas fut le premier à introduire à Marseille l’usage des livrées. Ses valets portaient des habits rouges et le peuple se moquait en disant "venès veire leis souisses de moussu de Mirabèu"(3)(5).

En décembre 1644, Georges de Scudéry, surtout connu comme romancier, est nommé gouverneur du Fort de Notre Dame de la Garde.

Accompagné de sa sœur, Madeleine de Scudéry femme de lettres, ils furent reçus et "traités magnifiquement"(1) dans cet hôtel. 

Le 2 mars 1660, à 4 heures de l’après-midi, le jeune roi Louis XIV, qui venait de soumettre Marseille, pénétra dans la ville par une brèche ouverte à sa demande dans les fortifications près de la porte Réale (Porte d’Aix).

Il ordonna la construction du fort Saint Nicolas dont les canons étaient dirigés à la fois vers le Port mais aussi vers la ville pour lui enlever toute velléité de se révolter à nouveau.

Durant son séjour, il logea dans l’hôtel de Mirabeau avec la reine mère et le cardinal Mazarin.

C’est tout près de la place de Lenche, rue Jean-Galant, que la peste fut diagnostiquée pour la première fois officiellement le 9 juillet 1720 sur un adolescent de treize ou quatorze ans par les docteurs Peyssonnel père et fils.

A la fin du XVIIème siècle, l’hôtel fut vendu par les Mirabeau qui achetèrent une résidence plus somptueuse encore dans les nouveaux quartiers de la rue Noailles.

L’Hôtel accueillit alors l'œuvre des enfants abandonnés puis un collège qui subsistât jusqu’à la fin du second empire.

Il servit ensuite de siège à l’œuvre des enfants de la providence avant dêtre rasé et remplacé par des constructions modernes.(1)

L’histoire ne dit pas quand les urinoirs qui s’y trouvaient au début du siècle dernier furent détruits.


Patrice Leterrier

2 février 2014

 

(1) Evocation du vieux Marseille André Bouyala d’Arnaud

(2) Histoire de Marseille Raoul Busquet

(3) Mémoires biographiques Honoré-Gabriel de Riquetti Mirabeau

(4) Histoire de Marseille Augustin Fabre

(5) "venez voir les suisses de Monsieur Mirabeau"

 

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