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Une fenêtre ouverte sur le monde

La lecture et les babouins

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C

ertains d’entre vous connaissent et apprécient la beauté sauvage des calanques qui s’enfoncent dans les falaises calcaires séparant Marseille de Cassis.

Il n’est pas exclu que la proximité de ces merveilles de la nature associée au ciel bleu de Provence soit un facteur favorable pour réunir à Marseille des équipes de chercheurs talentueux comme le psycholinguiste britannique Jonathan Graigner et son compère le français Joël Fargot.

Ce dernier est le concepteur d’une plateforme innovatrice qui permet à un groupe de babouins en semi-liberté de participer à des expériences concernant leurs capacités cognitives en toute liberté. Joël Fagot résume l’objectif de la plateforme "Le principe est simple. Il repose sur le volontariat: les singes exécutent les tâches que nous leur soumettons quand ils en ont envie."

L’expérience mise en place par Jonathan Graigner sur cette plateforme consiste à essayer que les babouins fassent la différence entre des configurations de lettres ayant une signification en anglais (comme stop, spot, pots, post, tops) et des arrangements sans signification au sens d’être susceptible de procurer des graines de nourritures.

Le meilleur élève de la classe un babouin nommé Dan a ainsi appris volontairement à distinguer plus de 300 mots après 50 000 essais.

On connaissait déjà les nombreuses expériences visant à faire parler les primates comme celles faites avec le célèbre bonobo Kanzi, maintenant âgé de 31 ans, qui maitrise 1000 mots sans pour autant dépasser les compétences langagières d’un enfant de 3 à 4 ans.

Ces expériences sont tout à fait différentes d’abord parce qu’elles ne consistent pas en une immersion forcée dans un environnement humain où il est difficile de faire la part des choses entre le dressage et l’apprentissage ensuite parce que l’objectif est moins global puisqu’il s’agit de rechercher les origines de la reconnaissance de formes et de la capacité d’association de formes.

Il faut cependant rester prudent sur l’interprétation de ces expériences car rien ne dit qu’il ne s’agisse pas uniquement d’une reconnaissance sans association à un sens linguistique c'est-à-dire à un concept abstrait représenté dans le cerveau par une image, une histoire, des émotions, etc.

Cela semble cependant démontrer que la reconnaissance des mots, une faculté prérequise à la lecture, n’est pas le propre de l’homme.

D’autres expériences menées par un autre chercheur de l’équipe, Arnaud Rey, indiqueraient que les babouins sont capables d’assembler des éléments de phrases ce qui dément la théorie du célèbre linguiste Noam Chomsky qui pensait que seul l’homme avait la capacité à emboîter entre elles de manière infinie des structures linguistiques.

Il est également intéressant de rapprocher ces résultats des travaux de Stanislas Dehaene sur les mécanismes de l’apprentissage de la lecture et les méfaits de la méthode globale.

D’après Jonathan Grainger l’apprentissage des babouins passe bien par le passage du graphème au phonème c'est-à-dire la reconnaissance des associations de lettres et de leurs positions dans le mot ce qui correspond aux travaux de Stanislas Dehaene sur l’apprentissage de la lecture chez l’homme.

Elle démontre donc que cette première phase de la lecture n’est ni linguistique ni spécifiquement humaine. Pour citer Jonathan Grainger il s’agit "d’une compétence liée à une capacité à identifier n’importe quel objet visuel à partir des parties de l’objet et des relations de ses parties entre elles".

La deuxième question est celle de la compréhension c'est-à-dire la capacité linguistique d’associer un sens à un mot et plus encore d’associer du sens à une phrase sur laquelle l’expérience n’apporte évidemment pas de réponse.

Il semble cependant, jusqu’à preuve du contraire, qu’il s’agisse d’une spécificité d’homo sapiens puisque l’homme de Neandertal a disparu et qu’il paraît donc difficile de l’interviewer.


Patrice Leterrier 

16 Avril 2012

 

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B
Merci!
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T
Article très bien...structuré dirais-je. Merci pour les liens et pour celui-ci.<br /> Allez, soyons un peu moqueur et laissons sortir le parisien qui sommeille en nous: "les scientifiques auraient pu s'économiser de prendre des babouins, les individus locaux auraient certainement<br /> très bien fait l'affaire" ;).
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P
<br /> <br /> Etes-vous sur que les "locaux" (comme moi) auraeint eu des résultats aussi probants que nos cousins babouins , <br /> <br /> <br /> <br />