Une fenêtre ouverte sur le monde
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u début de l’informatique, le problème du stockage des informations était critique.
Les cartes perforées, qui ont longtemps fait la richesse d’IBM, étaient trop lentes à lire, à perforer et trop encombrantes.
Elles entravaient le développement des applications et demandaient des manipulations fastidieuses d’inter-classements et de tris.
L’idée du stockage sur supports magnétiques trainait dans l’air lorsque des chercheurs du laboratoire IBM de Poughkeepsie près de New York songèrent à adapter les bandes magnétiques utilisés dans le magnétophone pour y stocker des données. Il fallut inventer les colonnes à vide pour que les bandes supportent des arrêts brusques tout en permettant leurs défilements rapides.
Ainsi naquit le premier lecteur/enregistreur de bandes magnétiques de la firme l’IBM 726 annoncé en 1952.
Il avait été conçu pour se connecter à l’ordinateur de première génération l’IBM 701.
Il fallut convaincre les clients que ce support était fiable et qu’il pouvait avantageusement remplacer les monceaux de cartes perforées qu’il fallait stocker à l’abri de l’humidité pour les conserver (une seule bande magnétique de 25 centimètres de diamètre pouvait remplacer 35 000 cartes perforées).
Mais les bandes magnétiques, aussi fiables et performantes qu’elles fussent, ne résolvaient et pour tout dire aggravaient même le problème de la mise à disposition rapide des informations qu’elles contenaient en multipliant les capacités de stockage.
L’US Air Force voulait disposer d’un système lui permettant de suivre et de mettre à jour ses stocks, une fois les équipements vérifiés, sans avoir à attendre les fastidieux traitements par lot des données.
Elle soumit sa demande à IBM qui confia ce projet au tout nouveau directeur du laboratoire de San José qui venait d’être créé, Reynold Johnson.
Cet ancien professeur de lycée n’avait pas d’idée préconçue.
Toutes les formes possibles de support furent envisagées mais au terme de nombreux essais, le consensus se fit sur l’utilisation de disques à rotation horizontale recouverts d’oxyde de fer.
Il fallait que ces disques soient suffisamment légers pour être entrainés par des moteurs de taille acceptable et suffisamment rigides pour ne pas se voiler à grande vitesse.
La solution fut trouvée en collant ensemble deux disques en aluminium mais le projet faillit s’interrompre lorsque, lors des essais, un des disques se cassa et dans sa course folle fractura le nez d’un des chercheurs et sectionna le tendon du pouce d’un autre.(1)
L’équipe persista cependant en faisant ses essais à l’abri de sacs de sable !
Comme un seul disque ne permettait pas de stocker suffisamment d’information, Johnson et son équipe eurent l’idée de les empiler les uns sur les autres dans une sorte de jukebox, ce qui valut à l’engin des surnoms peu flatteurs comme celui de "trancheuse bidon".
C'était une forme de retour au source puisque la compagnie Computing Tabulation Recording, qui allait devenir IBM, fabriquait des trancheuses à viande.
Il fallait que la tête de lecture se déplace d’abord verticalement pour sélectionner le disque visé puis horizontalement pour atteindre la piste où se trouvait l’enregistrement recherché.
Ainsi était né le premier système à disque magnétique l’IBM RAMAC 305 qui fut annoncé en grande pompe le 4 septembre 1956.
Il comprenait 50 disques de 24 pouces (61 cm), tournant à la vitesse de 1200 tours par minute, d’une capacité totale de stockage de 5 millions de caractères en décimal codé binaire sur 7 bits (soit l’équivalent de l’annuaire téléphonique de Manhattan).
Il permettait d’accéder aux données avec un débit de 100 000 bits par seconde.
L’armoire qui abritait le système pesait pas loin d’une tonne et avait les dimensions imposantes de 1,52 m de largeur, 0,74 m de profondeur et 1,72 m de haut. La profondeur était limitée par la règle qui voulait qu’il puisse passer par une porte standard.
Dans le communiqué de presse daté du 14 Septembre 1956 Thomas Watson Jr. n’hésite pas à dire : "Today is the greatest new product day in the history of IBM and, I believe, in the history of the office equipment industry"(2).
Il n’avait pas tout à fait tort puisque le disque dur, dont les performances ont été multipliées par des facteurs astronomiques, sont aujourd’hui l’outil de stockage de données le plus employé à travers le monde depuis le plus simple décodeur de télévision jusqu’aux gigantesques superordinateurs.
Songez qu’aujourd’hui on trouve des boitiers offrant, pour moins de 70 euros, 1 To (tera octets soit un million de millions de caractères) de capacité sur des disques dix fois plus petits de 2,5 pouces (6,35 cm).
Seagate vient d’annoncer un disque au format 2,5 pouces d’une capacité de 2 To alors qu’Hitachi Global Storage Technologies lance le premier disque à l’hélium au format 3,5 pouces d’une capacité de 6 To.
A l’époque de son annonce le RAMAC 305 n’était disponible qu’en location au tarif de 3 200 $ par mois soit une valeur approximative de 160 000 $ à l’achat (l’équivalent, selon l’INSEE, d’environ 2,3 millions d’euros fin 2013).
Si ces petites merveilles de technologie sont clairement les descendants du RAMAC d’IBM, le prix du stockage a été divisé en un demi-siècle par plus de six milliards et la densité de stockage par plus de 300 millions.
Patrice Leterrier
2 avril 2014
(1) Au service d’un monde meilleur : les idées qui ont façonné une entreprise et son siècle Kevin Maney – Steve Hamm – Jeffrey M. O’Brien IBM Press
(2) Aujourd'hui, c'est le plus grand jour d’annonce d’un nouveau produit dans l'histoire d'IBM et, je crois, dans l'histoire de l'industrie informatique.