Une fenêtre ouverte sur le monde
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a rivière Awash coule dans la vallée du grand Rift avant d’aller se jeter dans le lac salé Abbé dans le pays Afar de Djibouti dont les rives sont bordées de cristaux de sel et sur lequel on peut admirer des colonies de flamants roses.
En fin d’après midi le spectacle devient lunaire et c'est sans doute pour cela que le lac Abbé a inspiré le réalisateur de "La planète des singes".
Mais c’est dans la région de Hadar, au nord-est de l’Éthiopie au bord de la rivière Awash que le premier fragment du fossile de Lucy fût repéré par Donald Johanson le samedi 30 novembre 1974.
Yves Coppens a consacré une partie de sa vie à l’étude des restes de cette jeune Australopithecus afarensis datés de 3,4 millions d’années qui révolutionna notre vision de l’origine de l’homme en révélant déjà une marche bipède.
Depuis l’aventure de l’homme moderne, bien que faisant encore aujourd’hui l’objet de conjectures chez les anthropologues, semblait apparaître comme une série d’évolution linéaire depuis l’Homo Habilis, celui qui semble notre plus vieil ancêtre avec ses 3 millions d’années, en passant par l’Homo Erectus a qui l’on doit la découverte du feu et de la cuisson des aliments qui ont joué un si grand rôle dans le développement du cerveau.
Il émigra de son berceau africain une première fois vers l’Asie il y a 2 millions d’années puis vers l’Europe un million d’années plus tard.
Ce n’est qu’en 2005 que les deux crânes, découverts en 1967 dans la vallée de l’Omo le long du rift éthiopien, ont permis de prétendre que l’homme moderne serait apparu il y a environ 200 000 ans.
L’histoire paraissait celle de l’émergence d’une espèce bénie des Dieux qui allait se rependre sur la terre à partir de cette origine commune africaine comme l’homme de Cro-Magnon qui vivait il y a 40 000 ans en Dordogne.
Depuis la génétique moderne a permis de rechercher le plus récent ancêtre patrilinéaire commun c’est à dire l'homme de qui tous les chromosomes Y des hommes vivants descendent.
En 2011, l’équipe de généticiens des populations dirigée par Fulvio Cruciani a calculé que le plus récent ancêtre patrilinéaire commun daterait d'environ 140 000 années.
L’histoire rejoignait en quelque sorte la bible en nous faisant tous descendre d’un Adam génétique unique. Il existe aussi une Eve mitochondriale.
La chose paraissait entendue jusqu’à ce qu’on analyse l’ADN d’un certain Albert Perry, citoyen américain décédé d’origine africaine, et que l’on découvre qu’il descendait d’une lignée qu’il fallait faire remonter jusqu’à 338 000 ans pour découvrir un ancêtre commun avec notre Adam génétique.
Les recherches ont permis d’identifier qu’Albert Percy partageait le même héritage génétique que les Mbo, un peuple bantou d’Afrique centrale, vivant dans le sud-ouest du Cameroun.
Mais, il y a 338 000 ans, l’homme moderne n’existait pas !
La belle histoire de l’homme moderne, évolution ultime d’une sélection naturelle linéaire, semble bien devoir être abandonnée pour un roman plus passionnant et plus touffu fait de croisements successifs, résultats du hasard de rencontres entre des espèces proches vivant dans les mêmes niches écologiques.
Ces frasques paléontologiques auraient finalement donné Homo Sapiens triomphateur de ces infidélités multiples.
Cette hypothèse est corroborée par le fait qu’on trouve aussi dans notre patrimoine génétique des traces de l’Homme de Neandertal.
Nous voilà donc avec une aventure plus complexe où l’homme moderne aurait cohabité avec d’autres espèces d’hominidés dont la disparition reste aujourd’hui un mystère même si des chercheurs de l'Institut d'anthropologie cognitive et évolutive à l'Université d'Oxford supposent que les gros yeux du Néandertalien auraient laissé moins de place au développement des fonctions cognitives et précipitaient ainsi leur disparition.
Comme quoi il vaut mieux ne pas avoir les yeux plus grands que son cerveau…
Patrice Leterrier
17 mars 2013