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Une fenêtre ouverte sur le monde

Homo globalis

 

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D

 

ans son livre "La peur de l'insignifiance nous rend fous", Carlos Strenger écrit : "Les nouveaux mécanismes de classement déterminaient la valeur de l'individu selon divers facteurs : nombre d'amis sur Facebook, nombre de résultats sur Google, place sur les listes toujours plus nombreuses des personnes les plus influentes, populaires, sexy, puissantes ou riches de telle ville, tel pays et, pour finir, de toute la planète.

Une nouvelle espèce était née :  Homo globalis - cette importante catégorie des gens dont l'identité se définit fortement par le fait qu'ils sont en prise directe sur l'infodivertissement global. Une fois marchandise, Homo globalis n'a plus été simplement le détenteur d'un portefeuille, mais est devenu le portefeuille lui-même, distribué dans le monde entier via le système d'infodivertissement."

L’homo globalis branché en permanence sur le net avec ses smartphones, ses tablettes, ses ordinateurs portables est-il devenu une sorte d’ersatz d’être humain qui se définit par le nombre d’amis qu’il a sur facebook, le nombre de tweets et de SMS qu’il envoie et qu’il recoit, sa notoriété sur google, le nombre d’articles qui parlent de lui ?

Nul doute que l’ère de la marchandisation de l’humain, ultime étape d’un néolibéralisme mondial triomphant, est en route.

Exister c’est publier, communiquer en apparence, être à la fois une victime et un acteur de cette infodivertissement global dont parle Carlos Strenger au risque d’être pris par la peur de l’insignifiance corollaire inévitable de cette assimilation du sens de l’existence aux biens matériels que l’on possède.

Pour autant, il n’y a aucune nécessité et encore moins de fatalité à réduire notre existence à cette façade du paraître.

Plutôt que d’être les spectateurs de ce théâtre de l’apparence, réincarnation moderne de la parabole de la caverne de Platon, nous avons toute liberté de devenir le créateur de notre vie en revenant à cette vieille notion d’humanisme.

Certes nous vivons dans une tension permanente entre notre héritage culturel et notre besoin de le critiquer, nos désirs et nos possibilités, notre attirance pour ce monde d’infodivertissement, d’échange et de partage et notre besoin d’introspection, de validation de nos croyances et de nos valeurs éthiques et morales.

Plus que jamais la sortie du cercle infernal d’agitation auquel nous invite le monde envahi par un déluge de sollicitations sonores et visuelles, nous nous devons d’examiner sans complaisance les principes fondamentaux de nos représentations du monde au risque de nous perdre sinon dans une quête stérile de paraître plutôt qu’être.

Dans un récent billet sur France Info, Etienne Klein pose, avec son acuité habituelle, la question du réalisme c'est-à-dire de savoir si "le monde nous est accessible et si on peut le saisir tel qu’il est en lui-même  ou bien nous est-il livré toujours accompagné d’une partie de nous-même, de ce que nous croyons savoir sur lui, de ce que nous pensons à propos de sa nature. Le réel peut-il nous apparaître autrement que déformé ou masqué, augmenté ou rétréci"

Il cite le phénoménologue Jean-Luc Marion. Selon lui, l’inventeur du courant réaliste en peinture Gustave Courbet "ne fait pas voir l’invisible mais l’invu, ce non encore vu, qui, dans les limbes, attend encore qu’une main le rende visible, le fasse passer au grand jour de la visibilité et l’introduise au concert des visibles".

N’est-il pas plus que jamais, dans ce capharnaüm qu’est le théâtre du net, nécessaire de devenir des réalistes résistants qui refusent l’apparence du visible pour rechercher la quintessence de l’invu, celui qui donne du sens à notre trajectoire, qui nous libère du carcan consumériste dans lequel on cherche à nous enfermer ?

En quelque sorte sortir de ce qu’Emmanuel Kant appelait le sommeil dogmatique, de revenir aux valeurs des Lumières occidentales qu’il définissait comme "la sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable".


Patrice Leterrier

8 mai 2014

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