Une fenêtre ouverte sur le monde
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uel rapport entre la découverte sur le site de fouille gallo-romain de Changis-sur-Marne d’un squelette étonnamment complet de mammouth laineux, ayant vécu entre 200.000 et 50.000 ans avant notre ère et la pièce "Troubles dans la représentation", d’Aline César ?
Rien à priori sauf peut-être cette petite phrase prononcée par l’acteur Malik Faraoun jouant le rôle de l’homme cobaye "Il y a des hommes plutôt faits pour la cueillette, la décoration d’intérieur et les enfants au parc, et des femmes bâties pour trépaner le mammouth, faire du bruit et des embuscades".
Trépaner le mammouth c’est justement ce que faisait probablement des hommes et des femmes néandertaliens puisqu’on a retrouvé prés des ossements du pachyderme, une "pointe Levallois", une pierre taillée utilisée par les Néandertaliens du paléolithique moyen pour dépecer leurs proies.
La pointe levallois , qui doit son nom au site des carrières de Levallois-Perret, se caractérise par une méthode de débitage de silex décrite dès la fin du XIXe par Victor Commont.
Il est encore trop tôt pour savoir si l’animal s’est embourbé tout seul ou s’il a été chassé par des hommes et on ne saura certainement jamais si cette hypothétique chasse impliquait des femmes néandertaliennes d’autant qu’il a été longtemps admis que les femmes tenaient des rôles subalternes dans les sociétés primitives.
L’idée d’une différence qualitative entre le cerveau de l’homme et celui de la femme a d’ailleurs la vie dure depuis que le célèbre anthropologue Pierre-Paul Broca, affirmait (page 15 de sa communication "Sur le volume et la forme du cerveau suivant les individus et suivant les races") : "Il est donc permis de supposer que la petitesse relative du cerveau de la femme dépend à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle", idée largement admise de son temps comme celle de race supérieure et de race inférieure.
Aujourd’hui les clichés pseudo-scientifiques prétendument preuves de la différence de capacités intellectuelles entre des hommes et des femmes s’effondrent les uns après le autres même si le rôle des hormones sexuelles sur le cerveau en développement est indéniable et que certains chercheurs affirment encore que des différences anatomiques et fonctionnelles réelles existent en particulier dans les zones concernant le langage, la mémoire, la vision, les émotions, l’audition et le repérage spatial.
Mais il faut aussi souligner que les variations entre les capacités intellectuelles individuelles sont bien plus importantes que celles supposées exister entre les hommes et les femmes et que l’incroyable plasticité cérébrale et la pression des traditions rend quelque peu caduques des affirmations génériques sur des différences d’origine biologiques.
Sur une vidéo mise en ligne par universcience.tv, Catherine Vidal, neurobiologiste à l'Institut Pasteur, et Françoise Héritier, anthropologue au Collège de France, démontent magistralement les fausses évidences de la différence entre les capacités intellectuelles des hommes et des femmes, redonnant aux préjugés culturels leurs rôles dans les disparités pour ne pas dire les inégalités qui conduisent aux "différences" constatées entre hommes et femmes dans les matières scientifiques en particulier.
Catherine Vidal rappelle que "l'imagerie cérébrale montre l'importance de la variabilité individuelle qui dépasse largement la variabilité entre les sexes. Rien d'étonnant puisque 90 % des circuits de neurones se forment après la naissance. Il en résulte donc que personne ne possède exactement le même cerveau, y compris les vrais jumeaux. "
Qui peut encore par exemple sérieusement affirmer que le rose est associé aux femmes parce qu’elles avaient le rôle de cueilleuses des fruits mûrs ?
On a longtemps prétendu que les femmes seraient multitâches parce que leur corps calleux était soi-disant plus épais mais des études récentes infirment cette affirmation sexuée.
Si on arrêtait de convaincre les petites filles, dès la plus tendre enfance, qu’elles ne sont pas faites pour la géométrie on en finirait avec cette tarte à la crème qui veut qu’elles soient peu douées pour le repérage spatial.
Bien d’autres lieux communs courent sur les femmes intuitives et les hommes rationnels, les femmes fidèles et les hommes volages et d’autres stupidités résumées dans l’affirmation les hommes viennent de Mars les femmes de Vénus.
Oublions donc ces fausses évidences dans lesquelles se vautrent certains journalistes en mal (sans jeu de mots) de sujet.
D’ailleurs comment définir ce qui différencie l’homme lui-même des autres animaux quand un corbeau réfléchit avant d’agir, un éléphant parle le coréen et se reconnaît dans un miroir, un beluga dialogue avec ses dresseurs, des corneilles savent reconnaître une présence derrière eux ou toutes les capacités cognitives et émotionnelles que l’on découvre au fur et à mesure chez nos cousins les grands singes.
Et que dire des différences avec de possibles aliens vivant sur la planète HD 40307 g potentiellement habitable et située à quelques 42 années-lumière de la terre dans la constellation du peintre ?
Peut-être l’humour et l’autodérision font-ils partie des dernières capacités cognitives propres à l’espèce humaine mais à voir le sourire narquois de certains de nos proches cousins on peut quelquefois en douter ?
Patrice Leterrier
9 novembre 2012