Une fenêtre ouverte sur le monde
M |
ichel Alberganti cite une étude de James McNulty, psychologue de l’université de Floride, qui "prend à contre pied une tendance dans la recherche qui, au cours des dernières années, a favorisé une approche positive de la psychologie assurant que le pardon, l’optimisme et la gentillesse pouvaient améliorer les relations".
Qui n’a pas vécu, au moins une fois dans sa vie, une situation d’humiliation, de moquerie à son égard, de maladresse alors que la nécessité sociale (lien hiérarchique par exemple) nous obligeait à "rentrer" un mouvement naturel de colère ?
Le souvenir en reste gravé souvent à jamais et le ressentiment envers la (ou les) personne(s) impliquée(s) profond.
Mais je ne suis pas sûr qu’il faille opposer pour autant pardon et colère comme semble le faire l’auteur de l’étude.
N’a-t-on pas l’intuition que ce qu’il y a de pire c’est cette incapacité de combattre ce traumatisme, ce sentiment de honte, de rage, de dégout qui nous ronge, nous détruit et se traduit parfois par une «colère rentrée» que l’on retourne souvent contre soi parce qu’on a été incapable de l’exprimer ?
Le proverbe dit "on ne peut pas mettre le vent en cage".
La peur et la colère (d’autres sentiments comme la joie, la tristesse) font partie de l’héritage de notre cerveau reptilien.
Ils ont été sélectionnés au cours de l’évolution parce qu’ils étaient utiles pour la pérennité de notre espèce.
Chercher à contenir à tout prix sa colère, à pardonner sous le coup ne peut souvent que renforcer la blessure endurée et ajouter un peu plus de frustration du fait de cette épreuve que l’on cherche à s’imposer.
"L'esprit règne, mais ne gouverne pas", écrivait Paul Valéry.
C’est probablement une des limites des approches de "pleine conscience" préconisées par Christophe André s’opposant à "des innombrables thérapies plus ou moins sauvages encourageant les patients à exprimer de manière parfois violente (comme dans le cri primal) leurs émotions présentes, ou autrefois refoulées".
Il y a cependant un malentendu sur la notion d’accueil de ses émotions préconisée dans cette nouvelle forme de méditation.
Comme le précise Christophe André, il ne s’agit ni d’adhérer à son ressenti du point de vue "jugemental", pouvant conduire à une escalade de dévalorisation personnelle, ni de l’écarter de sa conscience mais bien du maintien de l'attention dans l'instant présent (sans juger, ni anticiper, ni ruminer).
A l’inverse de l’acceptation de la colère, le pardon morbide dont parle Boris Cyrulnik (qui consiste par exemple à s’attacher à l’auteur d’une agression) n’aide pas à la reconstruction d’une identité mais au contraire maintient la personne dans son traumatisme.
Le célèbre psychiatre indique que l’acte de pardonner fait partie du processus de reconstruction de sa vie après un traumatisme, mais il précise que l’on ne le peut pas forcément.
Notre culture judéo-chrétienne donne au pardon un statut de "norme éthique" alors qu’il semble plus important d’apprendre à vivre avec ses traumatismes sans s’imposer ce "rituel" du pardon.
"Tendre l’autre joue" participe à un processus de dévalorisation personnelle (je mérite les punitions que je subi) ou à une sorte de tendance schizophrène consistant à "chosifier" l’autre puisque ses coups ne m’atteignent pas.
Alors une bonne colère bien exprimée sans violence physique permet peut-être de diminuer dans l’instant l’impact du traumatisme et donc d’arriver plus facilement à un éventuel pardon réparateur ou du moins à une acceptation de son traumatisme.
Encore faut-il que la dite colère soit "justifiée" et proportionnée et ne crée pas en retour chez celui qui la subit un ressentiment voire une colère conduisant à une dangereuse escalade.
Encore faut-il aussi que cette colère n’ait pas l’effet inverse c'est-à-dire ne fasse que renforcer le traumatisme en l’enkystant parce qu’il se trouve associer à un état émotionnel fortement négatif.
Exprimer plus librement ses émotions peut être parfois certes nécessaire mais réhabiliter sans condition la colère n’est sans doute pas souhaitable dans un monde où la promiscuité est si grande et où une des conditions de la vie en commun paisible est tout de même l’acceptation de l’autre, les vertus indispensables de l’altérité et de la tolérance.
Patrice Leterrier
12 août 2012