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Une fenêtre ouverte sur le monde

Du goût et des Cocas

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S

 

ur son blog passeur de science, Pierre Barthélémy commente une étude publiée dans PLos One qui met en relief combien nos goûts en matière de boisson X-Cola sont fortement influencés par le phénomène de marque.

Les chercheurs ont distribué un mélange de trois boissons à base de Coca composé à part égale des deux plus célèbres d’entre elles et d’une autre marque générique d’un distributeur allemand.

Les cobayes étaient censés gouter ces trois marques plus une quatrième née de l’imagination des chercheurs.

Comme dans l’expérience célèbre sur le test de vins dont on avait manipulé les prix et les étiquettes, le phénomène de marque a joué à fond.

Chacun préférait nettement les boissons réputées aux autres alors qu’elles étaient parfaitement identiques.

Les chercheurs ont découverts que lorsqu’il s’agissait d’évaluer une boisson inconnue, une zone du cortex orbitofrontal généralement impliquée dans l’évaluation était plus active que lorsque le sujet buvait une boisson dont la réputation n’est plus à faire et dont la dégustation allumait le striatum ventral, région impliquée dans la récompense et le plaisir.

L’étude est amusante dans la mesure où elle déchiffre un peu le mécanisme subtil du goût dans un domaine très particulier qui est celui de cette boisson mondialement consommée et inventée en 1886 par le pharmacien John Pemberton.

Mais elle ne nous apprend pas grand-chose sur le subtil et complexe phénomène du goût qui n’est évidemment pas qu’une question de papilles et d’odeur ni d’aspect.

Si les grands chefs mettent un soin infini dans la présentation de leurs chef d’œuvres, les commentaires élogieux et pourtant sincères  qu’ils récoltent ne doivent bien sûr rien au hasard mais doivent tout de même pas mal au prix exorbitant de leurs compositions, traduction sociale de leur renommée.

Il n’est pas sûr que s’ils étaient servis avec les mêmes ingrédients chez le routier du coin, ils récoltent les mêmes hommages.

Mais au fond n’est-il pas quelque part rassurant que notre appréciation soit fondamentalement subjective ?

Nous savons bien que nous sommes à la fois des êtres de sens mais aussi de souvenirs et de jugements déjà établis.

Lorsque nous portons un met ou une boisson à notre bouche, c’est un mélange de chatouillement de nos papilles, de senteurs subtiles, de plaisir des yeux, de notoriété de l’auteur (en quelque sorte de la marque), de nos souvenirs qui déclenchent un tourbillon d’impulsions mettant en cause des millions de neurones et des milliards de connections que nous qualifions synthétiquement de plaisir ou au contraire de dégoût.

Nul doute que la madeleine de Proust serait probablement restée dans un sinistre anonymat sans le talent de cet auteur.

Cependant concernant cette boisson mondialement connue j’ai grande difficulté à y trouver la source d’un nouveau chef d’œuvre de la littérature.

Personnellement j’évoquerais plus facilement le ravissement d’une navette bénie par l’Archevêque de Marseille au goût inimitable de fleur d’oranger ou la délicate saveur d’une poignée de panisses ou un chichi fregi que nous concoctent avec talent les marchands de l’Estaque dans une délicieuse et inimitable odeur de friture.

Et le plaisir de déguster n’est-il pas aussi celui de contempler le bleu infini de la mer, de sentir l’odeur caractéristique des embruns, de laisser remonter en caravane les souvenirs d’enfance ?

Certes notre goût n’était peut-être pas aussi aguerri qu’aujourd’hui mais comment ne pas évoquer dans ces courts moments de dégustation les sensations de bonheur accompli que nous provoquaient ces petites fantaisies gustatives au goût bien affirmé et au caractère roboratif certain.

Allez ! Je vous laisse à votre madeleine, la mienne est liée à ces délices frits dégustés en trainant les pieds dans les feuilles de platane qui tapissaient une chaussée irrégulière longeant la voie d’un tramway dont le souvenir du son aigrelet de la cloche sonne encore dans mes oreilles.


Patrice Leterrier

17 juin 2013

 

 

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