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Une fenêtre ouverte sur le monde

Apologie du désordre

Manifestation nazie
au Luitpold arena à Nuremberg

   

N

icholas Makris et ses collègues de l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT) ont utilisé un puissant sondeur pour comprendre ce qui déclenche la formation de gigantesques bancs de harengs dans l'Atlantique. Ils ont ainsi observé que les harengs passent en quelques heures d'une population où ils sont dispersés dans un gentil désordre totalement anarchique à un banc gigantesque où leurs mouvements sont synchronisés. Le déclencheur semble être un seuil de densité de 0,2 individu par mètre carré, associé à une baisse de luminosité, au crépuscule. De petits groupes convergent alors pour former de grands rassemblements. Du point de vue physique, ces convergences créent des ondes comparables à celles d'une "ola" dans un stade. Elles se propagent à des vitesses de l'ordre de 20 kilomètres par heure, soit beaucoup plus vite que la vitesse de nage des poissons (moins d'un kilomètre par heure). La densité de la population augmente alors à un rythme de cinq millions de poissons par kilomètre carré et par heure. Un banc de 250 millions d'individus s'étire bientôt sur une quarantaine de kilomètres et migre ensuite en direction des zones de frai. Le lendemain, lorsque la luminosité augmente, le banc repu se désagrège. On a tous assisté au spectacle fascinant de nuées d'étourneaux, qui peuvent compter jusqu'à un million d'individus, tournoyant dans le ciel. Dans les régions tropicales, des essaims de criquets, rassemblant jusqu'à plusieurs dizaines de milliards d'individus sur des centaines de kilomètres carrés, ravagent les récoltes. Peut-être étudiera-t-on un jour la formation de bancs humains? Le déclencheur peut être une situation politique qui se tend, des manifestants qui se rassemblent en apparence spontanément pour marcher vers le siège du gouvernement ou plus pacifiquement des aficionados voulant à tout prix, y compris un inconfort extrême et des conditions d’écoute insupportables, voir de très très loin leur idole et pouvoir dire "j’y étais". Il peut aussi s’agir de fidèles se rassemblant pour écouter la parole d’un prédicateur ou d’un homme politique. Le rassemblement peut être spontané ou se faire sur un signal lancé aux adeptes qui partagent au moins les mêmes goûts musicaux, les mêmes croyances ou les mêmes idées politiques. Après avoir frayé comme les harengs leurs nourritures musicales, politiques ou spirituelles, les humains se dispersent en bon ordre soit spontanément soit sous la contrainte des forces de l’ordre. Vous pouvez d’ailleurs ici remarquer tout le paradoxe de l’expression "forces de l’ordre" en l’occurrence puisque leur tâche est justement de détruire l’ordre pour créer un désordre anarchique dans la fuite ou la dispersion des manifestants. La société ne déteste rien de plus que le grégaire, l’ordre quand il s’oppose au pouvoir et à son propre ordre établi. Certains ont aussi probablement en tête ces terribles images des rassemblements nazis de Nuremberg où l’ordre était porté à son paroxysme d’uniformité, de négation de l’individuel, d’abêtissement systématique de l’homme. Tout ce qui est grégaire a quelque chose d’inquiétant dans le monde diversifié, complexe et en quelque sorte fractal où nous vivons même si le fait d’aimer ou de penser la même chose rassure…Et puis en cette année de célébration du bicentenaire de la naissance de Charles Darwin le 12 février 1809 à Shrewsbury, pouvons-nous oublier qu’une condition absolument indispensable à la survie des espèces c’est la diversité, un désordre génétique indispensable ?


Patrice Leterrier

10 Avril 2009

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