Une fenêtre ouverte sur le monde
La procrastination
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n article dans Cerveaux & psycho a enrichi mon vocabulaire d’un nouveau mot : la procrastination. Non! Rassurez-vous. Il ne s’agit ni d’un gros mot, ni d’une nouvelle molécule miracle pour faire disparaître les rides, ni d’une pilule permettant de perdre sans efforts les kilos accumulés par négligence, sous l’effet du stress ou simplement par le sournois effet de l’âge, ni encore d’une nouvelle secte prônant je ne sais quelle théorie sur l’origine du monde. Le mot vient de la combinaison des mots latins pro qui signifie pour et cras qui signifie demain. Piers Steel, de l'Université de Calgary au Canada, définit la procrastination comme le fait de retarder volontairement une action qu'on a l'intention de réaliser, en dépit des conséquences négatives. Il estime que 15 à 20 pour cent des adultes reportent régulièrement des activités qu'il vaudrait mieux exécuter immédiatement. Le pourcentage atteindrait entre 80 et 95 pour cent des étudiants de premier cycle universitaire, pour qui les agendas académiques très serrés et les nombreuses fêtes représentent des facteurs importants de risque de procrastination. L’article distincte trois types de procrastinateur: l’évitant qui se laisse distraire à la première occasion pour se détourner se sa tâche, l’indécis qui n’en finit plus de se poser la question de la meilleur façon de l’entreprendre et l’activateur qui cultive le mythe de l’efficacité dans l’urgence. Ne cherchez plus! Je me reconnais dans les trois. Mais c’est sûrement le dernier qui, en ce siècle de la vitesse, de la décision instantanée, de culte de l’intelligence supposée fulgurante, est probablement le modèle le plus valorisé. Celui du lapin de Lewis Carroll courant sans but en répétant en boucle "nous sommes en retard, en retard…", celui du fanatique qui ayant perdu ses objectifs redouble ses efforts, celui du financier qui ignorant le sens du cataclysme qui nous frappe hésite, hésite encore puis finit par agir avec l’excuse classique invoquée par le procrastinateur activateur qui explique ses erreurs par le peu de temps qu’il a eu mais qu’il s’est, en fait, donné. A travers ce trouble de la gestion du temps, nous découvrons aussi, un peu surpris, que notre notion du temps qui passe de plus en plus vite, qui reste de moins en moins, dont on manque constamment est totalement et en permanence sous l’emprise de nos émotions. La nature (ou qui vous plaira…) nous a doté de cinq sens pour réagir face à des stimuli physiques (des ondes sonores ou lumineuses, des molécules, la pression) avec des récepteurs spécifiques : les cellules ciliées de l'oreille, les cônes ou les bâtonnets de la rétine, les récepteurs des molécules odorantes, dans le nez, etc. Mais le temps? Nous plongeons dès notre naissance dans le temps, ce dieu sinistre effrayant impassible que décrit Charles Baudelaire, mais le temps reste un mystère insaisissable, éminemment scientifique en physique et infiniment subjectif pour l’homme. Pierre de Ronsard écrivait déjà "le temps s'en va, le temps s'en va, madame; Las! Le temps, non, mais nous nous en allons.".
Patrice Leterrier
7 Avril 2009