
Quel symbole tout de même : on nous demande de nous laver les mains.
Nous laver les mains comme une multitude de Ponce Pilate pour oublier que nous portons tous la responsabilité de cette incurie à regarder à quoi notre égoïsme collectif nous a conduits.
Nous laver les mains de notre myopie à accepter que l’on ne parle que du coût de la santé tout en affirmant au nom de nos principes à l’unisson d’Alain Souchon que « la vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ». En oubliant qu’à force de parler du coût on porte atteinte au prix de la vie.
Nous laver les mains du financement de ce que pudiquement les élites appellent le cinquième risque, c’est-à-dire tout simplement l’incroyable aveuglement devant ce défi inexorable de la prise en charge de nos ainés que l’on parque dans des mouroirs. Comme l’écrit Chloé Morin « L’hécatombe à venir dans les EHPAD nous rappelle qu’avec eux, au nom d’une vie qui va trop vite, une vie trop pleine – pleine de travail qui épuise, d’enfants, d’amis, d’emmerdes qui volent en escadrilles – nous avons sacrifié une part de notre humanité. »
Nous laver les mains de l’inexorable logique économique de la mondialisation qui nous a fait accepter de sacrifier notre indépendance dans l’approvisionnement de nos médicaments, de notre nourriture, de nos dispositifs de santé.
Nous laver les mains du sort des « autres » et de laisser mourir en mer des milliers de réfugiés.
Nous laver les mains de notre indifférence face à des millions de personnes qui manquent de tout et qui survivent dans des conditions inhumaines.
Nous laver les mains des conditions misérables de ceux qui fabriquent les vêtements, téléphones portables, écrans de toute sorte, etc… que nous achetons avec une frénésie consommatrice insatiable.
Nous laver les mains de notre renoncement collectif à voir les dommages irréparables que nos modes de vie font subir à notre environnement.
Nous laver les mains et désigner bien sûr les élites que nous méprisons comme les coupables désignés de notre aveuglement.
Faut-il un cataclysme comme celui auquel nous sommes confrontés, pour que nous prenions conscience que rien ne pourra plus être comme avant
Plus que jamais le futur est incertain et on ne sait pas comment en particulier notre pays sortira de la « nuit des longs couteaux » qui suivra inévitablement la fin de ce fléau.
J’ai bien peur que les leçons à tirer ne soient emportées par un tsunami d’anathèmes et de condamnations à l’emporte-pièce.
L’articulation que l’on a vue entre la science et le politique aura-t-elle raison de l’envahissement des croyances et des tenants de la théorie du complot déferlant sans contrôle sur les réseaux sociaux ?
Il n’est pas douteux que les censeurs populistes particulièrement habiles à nous expliquer après coup comment nous aurions pu éviter cette catastrophe tenteront de mobiliser les français sur leur terrain de ralliement favori de la peur de l’autre et du repli sur soi et de l’incurie de nos élites dirigeantes.
Pourrons-nous continuer à nous laver les mains, à désigner les coupables et retourner à nos errements et lâchetés d’avant ?
Patrice Leterrier
13 avril 2020