
Si nous n’y prenons pas garde, nous pourrions être englouti par un raz de marée d’informations en continu sans filtre, le spectacle navrant de polémiques scientifiques, la génération spontanée d’épidémiologistes autoproclamés affirmant tout comprendre et tout maîtriser, une horde beuglante de yakafaucons censeurs sentencieux de tous ceux qui ne partagent pas leurs points de vue, des consignes contradictoires ajoutant à la confusion générale et sapant la confiance, des complotistes cherchant désespérément à trouver des coupables et à punir des innocents.
Dans un billet paru hier sur « Tracts de Crise » Claire Chazal s’interroge en ces termes « Pourra-t-on continuer d’être nourris, gavés, dominés et parfois vidés de toute capacité de jugement par cette épilepsie communicante ? »
Nous vivons une accélération du temps et de l’espace qui nous fait en permanence être à la fois le voisin d’un yankee du Massachusetts, d’un rital de Milan ou de Naples, d’un catalan de Barcelone, mais pourtant bien seul pour contenir l’angoisse et la peur que provoque ce virus.
Nous voilà spectateur impuissant, résigné mais inquiet, pétrifié à l’annonce de toutes ces victimes dont les proches ne peuvent même pas faire le deuil.
La pression du temps qui s’écoule nous paralyse et nous vivons dans un espace à la fois infini à travers les lucarnes des réseaux sociaux et de la télévision et ridiculement réduit à notre sanctuaire de confinement.
Mais dans ce temps du confinement, dès lors que nous voudrions bien nous passer de cette drogue médiatique qui tend à nous envahir et à ranimer notre cerveau reptilien si longtemps mis en sommeil par une rationalité conquérante et rassurante qui n’est plus de mise face à un ennemi invisible, mystérieux et sournois, nous voilà plongé dans une solitude inhabituelle et un silence inédit seulement rompu par le chant des oiseaux et le frémissement des feuilles des arbres qu’on ne prenait plus la peine d’entendre.
Dans ce temps ralenti si cher à Montaigne, plus rythmé par nos activités frénétiques et parfois futiles et cette solitude inhabituelle, nous avons tendance à vouloir combler ce que nous prenons pour un vide par le mirage des réseaux sociaux, les WhatsApp et autres SMS, comme si nous pouvions trouver dans cette virtualisation des échanges un palliatif à notre angoisse de nous retrouver face à nous-même.
Mais nous ne pourrons pas faire l’économie de ce retour à l’essentiel et de cette remise en cause de cette vitesse omnipotente dont Gaspard Koenig dit qu’elle « n’est pas une fatalité liée au progrès technique. C’est avant tout une invention culturelle, née avec les Lumières, qui commença par mettre les chevaux au galop sur les routes, envoya des milliards de passagers annuels dans les airs et acheva son œuvre folle en mettant les cerveaux du monde entier à portée d’un clic ».
Il faudra bien que nous nous posions un peu.
Oserons-nous remettre en cause le tourniquet infernal dans lequel la recherche effrénée de l’efficacité à moindre coût nous a entrainés ?
Aurons-nous l’audace et le courage d’arrêter d’aliéner les valeurs humaines et notre environnement à la logique du marché ?
Patrice Leterrier
17 avril 2020