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lexandre Dumas fils disait :"Les opinions sont comme les clous ; plus on tape dessus, plus on les enfonce".
Convaincre l’autre, le persuader serait donc une entreprise vouée à l’échec en tout cas sûrement en matraquant l’autre d’arguments auxquels il n’a ni l’envie ni de raison d’adhérer sous la pression.
Pourtant nous sommes sans arrêt sollicités et nous même nous ne ménageons pas nos forces pour tenter de persuader les autres.
John Dick dans son livre l’art de convaincre en 15 leçons nous prévient qu’on ne peut pas entamer la conviction de ceux qui, habités par des croyances, vivent dans la pleine sérénité de la vérité révélée que rien ne peut ébranler.
Les croyances ne s’appliquent pas seulement à la religion. On les retrouve également chez les inconditionnels d’une marque ou chez certains militants persuadés de détenir les dogmes d’une vérité incontestable.
Le doute, pourtant si fertile, ne les habitent pas. Ils sont hermétiques à toute curiosité. Ils vivent dans la certitude même si certains prennent pour de l’ouverture d’esprit le fait d’écouter les autres avec l’indulgence voire la compassion que l’on doit à celui qui vit dans l’erreur.
Pour les autres, ceux dont on peut tenter de modifier l’opinion par l’art de la persuasion, que d’énergies, que d’argent, que de moyens dépensés pour les amener à partager une opinion.
La publicité, dont nous sommes aujourd’hui abreuvés comme jamais, nous en apporte une illustration flagrante.
Aujourd’hui les moyens utilisés pour tester l’efficacité des messages publicitaires sont de plus en plus sophistiqués.
Les annonceurs ne se contentent plus des traditionnels panels censés représenter la ménagère de cinquante ans ou je ne sais quelle autre catégorie socioprofessionnelle.
Ils font appel à ces nouveaux gourous que sont les neuromarketeurs qui prétendent pouvoir, à grand renfort d’IRMf, déceler l’impact réel des messages publicitaires sur le consommateur en intégrant le moment choisi pour nous transmettre le message c'est-à-dire notre réceptivité.
Doit-on s’inquiéter de ces manipulations qui agiraient sur notre inconscient pour arracher notre conviction ?
On se souvient du débat sur les images subliminales dans les films. Les travaux de Stanislas Dehaene sur l'accès à la conscience ont un peu démystifié le danger de telles pratiques en démontrant qu’elles ne peuvent pas entrainer un comportement comme dans un célèbre épisode de Columbo où des images subliminales poussent la victime à aller boire et se fait assassiner (Columbo saison 3 épisode 4 : Subconscient (Double Exposure)).
Le fantasme de la manipulation par ces images que l'on ne verrait pas est cependant tenace. Elles auraient même été utilisées dans la pub (McDonalds) et dans certaines campagnes politiques (Mitterrand en 1988 sur Antenne 2 et Mc Cain sur Foxnews pour les primaires USA en 2008).
Doit-on vraiment s’inquiéter de la montée en puissance spécialement aux Etats-Unis de cette vogue du neuromarketing ?
Olivier Oullier professeur au Laboratoire de Psychologie Cognitive de l'université Aix-Marseille semble nous rassurer en affirmant :"aujourd'hui les seules victimes du neuromarketing sont les patrons qui font appel aux agence de neuromarketing et qui ont leurs campagnes de pub surfacturées […] Le consommateur n’est pas plus ni moins manipulé qu’avant."
A vrai dire lorsqu’un message est adressé à quelqu’un dans le but de le convaincre il fait rarement seulement appel à sa raison mais plus souvent voire uniquement à son désir, à ses sentiments. Un message publicitaire joue toujours sur notre émorationalité quel que soit son efficacité.
La remarque d’Olivier Oullier ne règle pas pour autant les problèmes éthiques que soulève l’utilisation des neurosciences pour manipuler l’opinion des citoyens.
Ce souci est d’autant plus légitime qu’il s’agit de campagne de santé publique et qu’on choisit, au nom de l’efficacité, de prioriser des messages pour qu’ils ne se télescopent pas.
On pourrait par exemple privilégier la lutte contre le tabagisme à la sécurité routière.
On sait aujourd’hui étudier les mouvements des yeux d’une personne, ses expressions faciales pour déterminer l’impact de tel ou tel message. Il est tout à fait concevable techniquement de le faire sans le consentement du consommateur comme on peut plus ou moins imaginer "lire dans les pensées" à partir d’informations sur son activité cérébrale.
C’est à ce niveau que se situent les problèmes éthiques de violation de la liberté individuelle de chacun.
Peut-être un peu futuriste mais le futur d’aujourd’hui est tellement vite le passé de demain…
Patrice Leterrier
7 mai 2012