Super Kamiokandé
"La quantité de réalité la plus infime jamais imaginée par un être humain" Frederick Reines
a collaboration OPERA avait annoncé un peu imprudemment ou tout au moins prématurément que les neutrinos voyageaient plus vite que la lumière, ce qui remettait sérieusement en cause la théorie de la relativité restreinte.
Mais qui sont ces neutrinos qui auraient la velléité de défier Einstein ?
D’abord une particule qui remplit littéralement l’univers.
Chaque seconde, 65 milliards de neutrinos traversent l’ongle de notre petit doigt et le seul corps humain émet chaque jour la bagatelle de 340 millions de neutrinos qui partent jusqu’au fin fond de l’univers.
Le 23 février 1987 à 7h35 nous avons été traversés par quelques millions de milliards de neutrinos en 10 secondes émis il y a 150 000 ans par l'explosion d'une supernova dans le Grand Nuage de Magellan.
Les neutrinos sont d’abord nés de l’esprit créatif de Wolfang Pauli, le 4 décembre 1930, dans une lettre envoyée aux "Liebe radioaktive Damen und Herren" participants à une conférence se tenant à Tübingen auquel il ne pouvait participer parce qu’il devait assister à un bal dans la nuit du 6 au 7 décembre à Zurich.
Dans sa lettre, Pauli présente sa découverte comme un "remède désespéré au sauvetage du ″théorème d’échange″ de la statistique et de la loi de conservation de l’énergie […] la possibilité qu’il existe dans le noyau des particules électriquement neutres de spin1/2, obéissant au principe d’exclusion et dont la masse devrait n’être en aucun cas supérieure à 0.01 masse de proton".
Le pari était audacieux car si chaque fois qu’un physicien n’arrivait pas à résoudre un problème il inventait une particule élémentaire, leur nombre serait aujourd’hui incalculable !
En 1933, Enrico Fermi baptise la particule prédite par Pauli neutrino (petit neutron en italien) et il l’incorpore à une théorie de l’interaction faible.
Il faudra attendre 25 ans pour que le neutrino soit enfin déniché pour la première fois après des mois d’observation à raison de trois neutrinos à l’heure.
Le 15 juin 1956 Clyde Cowan et Frederick Reines, qui avaient placé deux réservoirs de 200 litres pleins d’eau et de chlorure de cadmium à 11 mètres de distance du centre du réacteur nucléaire de Savannah River (Caroline du Sud) pouvaient envoyer à Wolfang Pauli un radiogramme annonçant leur découverte.
Pourquoi une particule aussi présente dans l’univers a-t-elle été si difficile à détecter ?
C’est que sa masse encore inconnue mais pratiquement nulle et l’absence de charge rendent impossible sa détection directe.
Pour voir un neutrino il faut en quelque sorte constater les "dégâts" qu’il produit en entrant en collision avec une autre particule et les routes de l’univers sont encore moins chargées que celles du Sahara.
La première mesure des neutrinos d’origine solaire est due à Ray Davis et John Bacall qu’ils font en enfouissant en 1964 un réservoir contenant 600 tonnes de détergeant dans la mine d’or d’Homestake située dans le Dakota du sud pour que les rayons cosmiques n’interfèrent pas avec leurs mesures.
Les premiers résultats, publiés en 1968, ainsi que les suivants (Kamiokandé en 1989 au Japon, IMB en 1990 aux États Unis, Gallex en Italie et Sage en Russie en 1995, superKamiokandé en 1996) sont obstinément très inférieurs aux prévisions.
Pour comprendre pourquoi les mesures de neutrinos solaires ont toutes donné des résultats inférieurs que les prédictions du modèle solaire, il faut d’abord savoir qu’il existe en fait trois types de neutrinos que l’on appelle des "saveurs" bien que personne n’est jamais pu "gouter" un neutrino.
Celui émit par le soleil est la contrepartie d’un électron et s’appelle donc neutrino électronique.
C’est celui-ci dont Pauli avait eu l’intuition et que C. Cowan et F. Reines ont découvert en 1956.
En 1962, Leon M. Lederman, Melvin Schwartz et Jack Steinberger dénichent le neutrino muonique et lorsque Martin Perl découvre en 1975 un troisième type de lepton, le tau, la théorie veut qu’il doive être associé, comme ses frères l’électron et le muon, à un neutrino dit tauique.
La première détection de neutrinos tau n’a été annoncée qu’à l’été 2000 par la collaboration DONUT au Fermilab, ce qui en fait la dernière des particules du modèle standard d'avoir été directement observée.
En 1989 les mesures faites sur le LEP, nouveau collisionneur de particules du CERN, permettent d’affirmer qu'il n'existe que trois familles de neutrinos.
L’existence d’au moins deux types de neutrinos avait déjà été proposée par le physicien d’origine italienne Bruno Pontecorvo dès 1957.
L’histoire de Bruno Pontecorvo ressemble à un roman d’espionnage.
Il fut d’abord un assistant d’Enrico Fermi et probablement un espion de l’ex union soviétique.
Le 31 Août 1950, il quitte brusquement l’Italie pour Stockholm avec femme et enfants pour passer via la Finlande en URSS où il finira sa carrière.
Bruno Pontecorvo avait émis l’hypothèse que, si les neutrinos possédaient une faible masse, ils pouvaient osciller en se transformant les uns dans les autres au cours du temps.
Cette hypothèse d’oscillation des neutrinos servira à expliquer le déficit des neutrinos solaires.
Ce n’est qu’en juin 2001 que la collaboration SNO (Sudbury Neutrino Observatory) fournit la solution de l’énigme des neutrinos solaires.
L’expérience située au Canada à 2 kms de profondeur met en jeu un détecteur immergé dans un réservoir de 30 m de haut capable de détecter les "saveurs" des neutrinos qui interagissent avec l’eau lourde qu’il contient alors que les précédentes expériences ne mesuraient que les neutrinos électroniques.
Les résultats publiés en 2002 confirment ceux des expériences précédentes pour les neutrinos électroniques mais montrent que des neutrinos muoniques et tauiques sont également présents à part égale ce qui rend le nombre total de neutrinos conforme au modèle solaire pour autant que l’on admette la possibilité d’oscillations et donc l’existence d’une masse pour les neutrinos.
L’expérience japonaise Kamland confirme les résultats de l’expérience SNO et Super kamiokandé a aussi prouvé que les neutrinos sont massifs bien qu’on ne mesure que la différence de masse et non pas les masses en absolu.
Aujourd’hui, il n’existe pas de "preuve" directe de l’oscillation des neutrinos
Et c’est là que l’on revient à l’expérience OPERA qui a justement pour but de démontrer qu’une partie des neutrinos muoniques oscillent durant les 2,5 millisecondes de leur parcours d'environ 730 kilomètres et deviennent des neutrinos tau.
En Juin 2010, après trois ans d’enregistrements, les chercheurs d’OPERA ont fini par observer une réaction convaincante avec l’apparition d’une particule tau pouvant découler du phénomène d’oscillation des neutrinos mais ce résultat demande à être confirmé.
L’expérience se poursuit donc et c’est en mesurant la durée de ce parcours que les chercheurs d’OPERA sont tombés en septembre 2011 sur l’anomalie aujourd’hui objet de vérification de neutrinos supraluminiques qui bouleverserait les fondements même de la théorie de la relativité.
Les neutrinos n’ont donc pas fini de jouer les facétieux avec les savants !
N’y a-t-il pas meilleure illustration pour les définir que l’oxymore de Corneille dans le Cid "cette obscure clarté qui tombe des étoiles" comme conclut Daniel Vignaud dans sa conférence.