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es candidats au Bac de série L pouvaient choisir de traiter le sujet suivant : "L'objectivité de l'histoire suppose-t-elle l'impartialité de l’historien ?"
Jean-Jacques Rousseau disait dans l’Emile : "Thucydide est, à mon gré, le vrai modèle des historiens. Il rapporte les faits sans les juger ; mais il n'omet aucune des circonstances propres à nous en faire juger nous-mêmes." Voilà donc les qualités requises pour faire un bon historien selon lui.
Pour autant suffisent-elles à donner du sens à l’histoire, à faire de l’histoire celle des hommes et pas une succession de faits chronologiques dans des circonstances dont on peut d’ailleurs douter de l’exhaustivité n’en déplaise à Rousseau.
L’histoire a fait l’objet de tellement de détournements, de mensonges, de parti-pris en vue de démontrer des théories sur son supposé sens, qu’il est bien difficile de parler de l’objectivité et de l’impartialité de l’historien.
Pourtant, nous attendons légitimement que l’histoire nous soit rapportée avec objectivité, c'est-à-dire qu’elle soit mise en ordre méthodologiquement pour être comprise et pas simplement une succession de faits rapportés sans lien entre eux autre que la chronologie.
Evidemment en première analyse, il y a clairement des historiens qui manquent d’objectivité et qui sont de parti-pris comme il y a aussi beaucoup d’homme politiques, d’ecclésiastiques, de journalistes et de citoyens qui ont la même attitude.
Mais peut-on pour autant parler d’objectivité et d’impartialité pour les autres ?
L’impartialité évoquée ne se réduirait pas tout simplement au silence s’il s’agissait de n’exprimer aucun part pris alors qu’il faut bien se décider à en prendre un pour reporter des faits même si on appelle cela un point de vue.
Que dire de l’objectivité de l’historien sinon que le mot objectivité est lui-même d’une grande ambiguïté.
Veut-on dire, comme le suggère le Petit Larousse, pour objectivité que l’historien doit faire abstraction de ses préférences ?
Mais ses préférences ne l’ont-elles pas guidé dans ses recherches, dans ses choix, dans son approche de faits rapportés déjà souvent par d’autres qui avaient leurs propres subjectivités sans pour autant que l’historien soit obligé de les partager ?
A moins qu’on imagine que l’objectivité suppose la connaissance complète et parfaite des faits et de leurs circonstances, ce qui est impossible même de nos jours où les moyens d’informations se multiplient comme on peut le voir dans la guerre médiatique qui se joue en Iran.
Et quand bien même les faits serait connus, que dire des intentions des acteurs de l’histoire qui n’avaient rien d’objectif, que dire du contexte, des circonstances ?
Au fond ce qui compte c’est que l’historien soit méthodique, rigoureux et cohérent dans son approche, en quelque sorte qu’il soit honnête dans sa subjectivité, qu’il l’exprime clairement et sans ambages.
A l’occasion il n’est pas déplaisant qu’il écrive bien et qu’on ait donc plaisir à le lire…
L’historien raconte toujours une histoire, pas l’histoire qui est un concept abstrait comme d’ailleurs la vérité, l’objectivité ou l’impartialité.
Mais ces concepts n’existent-ils pas que par leurs négations? Elles sont parfaitement identifiables comme le mensonge, la mauvaise foi et le parti-pris. On peut vraiment dire, par exemple, qu’un négationniste ment de mauvaise foi et de parti-pris et ne fait pas œuvre d’historien.
Et puis l’histoire est soumise aussi à notre propre subjectivité, à notre méditation à sa lecture qui lui donne le sens que l’on construit soi-même au-delà de la subjectivité objective de l’auteur.
Quant au sens de l’histoire, Bergson disait "les signes avant-coureurs ne sont donc à nos yeux des signes que parce que nous connaissons maintenant la course, parce que la course a été effectuée". Et puis vu l’usage fait par des générations de donneurs de leçons qui ont conduit à des gigantesques catastrophes, il est clair que celui qu’on lui attribue trahit à coup sûr l’intention de l’auteur.
Patrice Leterrier
19 juin 2009