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ujourd’hui qu’il s’agisse de santé, de politique, d’écologie, d’économie, les statistiques sont omniprésentes dans le discours des responsables et à les écouter leurs jugements seraient irréfutables et sans appel.
D’ailleurs y a-t-il un meilleur moyen de clouer le bec à un contradicteur que de lui dire "les statistiques sont formelles !"
L’ennui c’est qu’elles ne le sont que parfois et encore pour ceux qui savent les lire.
L’ennui aussi c’est qu’ils ne sont pas la majorité ceux qui les brandissent sans complexe à savoir les interpréter correctement.
L’ennui enfin c’est que, quand bien même elles seraient irréfutables et non biaisées, nous ne sommes pas vraiment armés pour les comprendre.
Rudy Giuliani annonçait triomphant en 2007: "J'ai eu un cancer de la prostate, il y a cinq ans. Mes chances de survie étaient de 82 pour cent aux États-Unis. En Angleterre, où le système de santé est socialisé, elles n'auraient été que de 42 pour cent."
Il avait donc, à ses yeux, une chance folle de vivre à New York et non à Londres !
Seulement, la politique de dépistage n’étant pas la même, les cancers de la prostate des américains sont détectés beaucoup plus tôt qu’en Grande Bretagne.
Le taux de survie à 5 ans (chiffre utilisé par R. Giuliani) aux états unis est donc beaucoup plus élevé qu’en grande Bretagne sans grande signification sur le taux de mortalité.
Selon un avis émit en 1995 par l'Agence de sécurité sanitaire du Royaume-Uni, les pilules contraceptives de troisième génération doublaient le risque (relatif) de phlébite potentiellement mortelle.
Le risque absolu passait en réalité de 1 pour 7000 à 2 pour 7000, ce qui ne justifiait en rien le vent de panique qui suivit.
Beaucoup de femmes cessèrent de prendre la pilule ce qui entrainât une explosion du nombre d’avortements alors que les avortements et les grossesses augmentent le risque de thrombose dans des proportions bien supérieures à celle annoncée pour les pilules contraceptives de troisième génération.
Pas convaincu ?
Je pense augmenter votre confusion en reprenant l’exemple cité par Gerd Gigerenzer : selon les probabilités (qui sont toujours formelles) parmi les femmes passant un test du cancer du sein, un pour cent en sont atteintes et le test est fiable à 90 % avec un taux de 9% des faux positifs.
Si vous n’avez pas compris grand chose à cette phrase, peut-être je pourrais vous éclairer en disant qu’en ignorant les tests négatifs, un test positif est un faux positif neuf fois sur dix.
Evidement la personne a qui on annonce un test positif n’a pas tout à fait la même impression avec cette formulation qu’avec la phrase absconde qui précède et pourtant elle dit rigoureusement la même chose !.
Toujours pas convaincu que notre cerveau entend les statistiques en fonction de ce dont elles parlent et de la façon dont on les présente ?
Connaissez-vous le petit jeu qui s’appelle le Monthy Hall problem ? Si vous avez regardez la vidéo du lien je serai étonné que vous ayez choisi la stratégie la meilleure car elle est totalement contre intuitive.
Outre cette difficulté à comprendre la signification réelle de tel ou tel chiffre, lorsqu’il s’agit d’évaluer une situation nous ne pesons pas sur la même balance les risques et les chances.
Les risques prennent une importance considérable.
Notre cerveau ne nous laisse pas la possibilité de les traiter sereinement confondant par exemple risque absolu et risque relatif, etc.
On a beau avoir dit à des millions de gens que le vaccin contre la grippe H1N1 était inoffensif, on peut répéter à tue tête que les concombres et autres tomates ne présentent aucun risque en France, un peu parce que les autorités nous ont souvent mentis par le passé, beaucoup parce que notre esprit ne sait pas accueillir les risques avec raison nous les surévaluons.
Et pourtant nous prenons sans arrêt et sans y prêter la moindre attention des risques bien plus considérables mais que nous ne percevons pas (bruler un feu rouge, forcer un passage à niveau, traverser sans regarder, fumer comme un pompier, boire sans mesure, manger n’importe quoi…)
Ainsi est la nature humaine aveugle du principal et obsessionnel du détail.
Patrice Leterrier
9 Juin 2011