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ertains verront peut-être dans l’expérience de téléréalité présentée la semaine dernière sur France 2 sous le titre d’Expérience Extrême le comble du cynisme des réalisateurs et le sommet de la veulerie humaine.
Pour ceux qui, comme moi, n’ont regardé ni l’émission ni le débat qui a suivi, il s’agissait de reprendre dans le cadre d’une émission de pseudo-téléréalité les expériences célèbres réalisées par le psychologue Stanley Milgran de l’université Yale aux États Unis il y a un demi-siècle et qui avaient inspiré le réalisateur Costa-Gavras pour son film I Comme Icare.
L’objectif de ces expériences est de mesurer dans le cadre d’un environnement où l’autorité s’exprime avec plus ou moins de force la capacité de résister d’individus tout à fait équilibrés et intégrés à la société.
Contrairement aux conclusions de certains, si le fait que cette autorité se manifeste sur un plateau de télévision ajoute un caractère spectaculaire à l’expérience, cela ne prouve certainement pas grand-chose sur le rôle de la télévision dans les résultats c'est-à-dire dans la propension des participants à se soumettre docilement à une autorité fermement affirmée.
Il nous renseigne par contre certainement sur la responsabilité d’apprentis sorciers jouant de leur position d’autorité pour pousser des individus qui ne sont ni des héros ni des répugnants tortionnaires à des comportements qu’ils reprouveraient sans hésitation s’ils n’étaient contraints par les règles du jeu à accomplir.
Il est d’ailleurs symptomatique à cet égard que l’affirmation du rédacteur en chef de philosophie magazine Alexandre Lacroix que "le plateau de télévision est un dispositif coercitif où le présentateur a le pouvoir" ait donné lieu à un incident hors antenne avec le présentateur Christophe Hondelatte qui, tout en reconnaissant l'incident, en a attribué la responsabilité à son protagoniste qu’il disqualifie en le traitant "d'homme de peu de science et de philosophie", ne s’apercevant même pas que ses propos confortent l’accusation de sa victime.
Mais au-delà de ce combat de coqs bien dérisoire face au lent glissement de la télévision vers sa perte d’identité, c’est qu’avec ce paradoxisme de trituration machiavélique du lien social, on s’attaque aux fondements même des valeurs morales qui donnent à notre société sa cohésion.
Avec ces mises en scène dégoulinantes de bassesse et de banalité de gens ordinaires, en copétition comme le dit le sociologue Jean-Louis Missika, on assiste, sous le masque dérisoire du divertissement, à l’érosion insidieuse des valeurs de solidarité.
Karla Hoff dans la revue Science, nous apprend que, selon certaines analyses, à l'âge de pierre, qui s'est terminée il y a seulement 200.000 ans, une personne sur sept mourrait au combat. L’acceptation de l’autre comme un frère dans une communauté est donc un phénomène récent. Les valeurs d’équité qui ont permis la construction à travers les âges du lien social en permettant d’évoluer de la famille vers le clan, du clan vers la tribu, de la tribu vers la cité et de la cité vers la nation sont des vertus sociales qui n’ont rien de génétiques chez l’homme et qui donc doivent être précieusement préservées si on ne veut pas retourner à la barbarie.
Au fond réjouissons-nous qu’il y est encore 20% de personnes qui s’opposent aux injonctions d’un pouvoir immoral. Après tout il y avait beaucoup moins de résistants sous l’occupation comme le remarque justement Yves Michaud.
Le drame serait qu’il n’existe plus dans l’esprit des citoyens de raisons fortes de respecter l’autre, de valeurs morales poussant à accueillir et à aider son prochain, à se battre pour qu’il puisse exister en acceptant sans réserve qu’il soit en désaccord avec soi comme le souhaitait avec passion Voltaire.
Patrice Leterrier
21 mars 2010