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uand on parle de sauter de joie, de prendre de la hauteur, d’être sur le toit du monde, au septième ciel ou inversement de sombrer dans la mélancolie ou de tomber bien bas, au trente-sixième dessous, il s‘agit de métaphores spatiales dont on pourrait croire que l’origine vient de la croyance d’un paradis se trouvant au ciel et d’un enfer enfoui dans les profondeurs brulantes de la terre.
Mais Daniel Casasanto de l’Institut Max Planck de Psycholinguistique et Katinka Dijkstra de l’Institut de psychologie de l’Université Erasmus ont voulu savoir si ces expressions n’étaient pas en réalité un indice de la façon dont les gens vivent leurs émotions c'est-à-dire si ces images spatiales ne correspondent pas en réalité à des concepts intrinsèquement associés à nos pensées.
L’étude publiée par ses chercheurs dans la revue Cognition d’Avril 2010 semble démontrer cette hypothèse.
Une expérience réalisée avec 24 étudiants consistait, pendant qu’ils transvasaient des billes d’une boite dans une autre (vers le haut ou vers le bas), à leur demander de raconter des souvenirs autobiographiques positifs ou négatifs, comme par exemple "parlez-moi d’un événement vécu où vous vous êtes senti fier de vous", ou inversement d’"un moment où vous avez eu honte de vous-même".
Les résultats obtenus montrent que la remémoration d’événements positifs est plus rapide que celle d’événements négatifs lorsqu’elle se fait concomitamment avec le déplacement de billes vers le haut et inversement c’est à dire en concordance avec l’usage métaphorique des expressions du langage.
Une autre expérience a confirmé ce premier résultat. Il s’agissait cette fois de leur demander de rapporter un souvenir à l’école secondaire alors qu’ils effectuaient leurs taches sur les billes.
Là encore les souvenirs positifs étaient plus fréquents chez ceux qui devaient déplacer les billes vers le haut.
Daniel Casasanto en déduit "these data suggest that spatial metaphors for emotion aren't just in language, linguistic metaphors correspond to mental metaphors, and activating the mental metaphor 'good is up' can cause us to think happier thoughts."(*).
Sauter de joie, regarder les étoiles, prendre de la hauteur seraient donc des activités permettant de repousser les idées noires et au fond nous aurions tous intérêt à les enterrer le plus profond possible et à ne pas nous baisser pour les ramasser.
Il est vrai qu’il est plus fréquent de voir une gamine sautant à la corde présenter des signes de contentement que de la voir afficher des stigmates de contrariété.
Sautons donc sans hésiter sur les conclusions de ces chercheurs.
Participons sans la moindre retenue à cette élévation qui conduit à plus de satisfaction sans forcément verser dans un optimisme béat ni évoquer une ascension mystique.
Sans atteindre forcément un hypothétique septième ciel, on pourra peut-être ainsi mieux supporter les tracas de la vie.
S’élever au dessus des contingences opiniâtres amenuise incontestablement les dérisoires agacements de la vie.
Patrice Leterrier
22 avril 2010
"ces données suggèrent que les métaphores spatiales associées aux émotions ne sont pas seulement linguistiques mais qu’elles correspondent à des métaphores mentales, et que le fait d’activer une métaphore mentale associant la hauteur et le positif peut faire penser à des événements heureux"