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20 octobre 2009 2 20 /10 /octobre /2009 19:40


V

ictor Hugo écrivait dans les contemplations : 

"Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?

Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?

Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?

Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;

Ils vont de l'aube au soir, faire éternellement

Dans la même prison le même mouvement..."

Aujourd’hui le sort des enfants qui travaillaient dès l’âge de six ou sept ans dans des conditions effroyables pour des salaires quatre fois inférieurs au misérable émolument d’un adulte nous parait tout simplement odieux.

Nous regardons avec l’œil sévère les pays qui continuent à utiliser de la main d’œuvre juvénile tout en nous empressant d’acheter les productions de ces jeunesses sacrifiées parce que le discret "made in Vietnam" ou "made in China" sur les vêtements des grandes chaines de distribution, cela n’évoque guère qu’une invitation au voyage, un moment d’exotisme.

Ainsi va la condition humaine qui fait que ce qui est considéré comme impensable, odieux, inacceptable aujourd’hui était en fait notre pratique il n’y a pas si longtemps et est encore pratiqué dans l’indifférence générale quand ce n’est pas avec l’alibi "il vaut mieux qu’ils fassent ça que d’alimenter le tourisme sexuel…"

Nous vivons aujourd’hui dans le monde du travail sous le règne du paradigme de la performance individuelle, seule justification de la reconnaissance professionnelle. La raison avancée est qu’elle est source de différentiation et donc de richesse pour l’entreprise reine.

Au nom de ce dogme inébranlable et dont il serait inconvenant de contester la validité, le monde de l’entreprise devient de plus en plus celui de chacun pour soi, une jungle dont seuls survivent les plus forts, les mieux armés, d’aucuns diraient les plus "doués" sous fond d’évidence historique (et soit disant scientifique) des bienfaits de la sélection naturelle. Les italiens en viennent, sous le règne de Silvio Berlusconi, à demander au public de noter les fonctionnaires ce qui pourrait donner de curieux résultats concernant les fonctionnaires de l’honorable administration en charge du recouvrement de l’impôt…

Et l’homme dans ce pressoir sans âme, sans morale et sans scrupule ?

Et la motivation qui est de loin le meilleur moteur de la créativité et de la performance lorsque les tâches affectées aux collaborateurs sont uniquement dictées par les sacrosaintes obligations du service sans tenir compte des compétences et des goûts du collaborateur ?

Difficile bien sûr de voir dans ce constat un peu brutal et schématique, l’unique, l’ultime et rassurante, en quelques sortes, raison de la vague de suicides au travail qui frappe France Télécom mais aussi Renault, Peugeot, l’enseignement, le corps médical et j’en passe probablement.

Il y a probablement aussi de bonnes raisons de penser que les choses peuvent changer ; Il n’est pas interdit d’espérer qu’avec les fantastiques progrès des technologies de la communication et de l’information, les structures hiérarchiques, pyramidales héritées d’un modèle militaire désuet dans l’économie en réseau dans laquelle nous évoluons finissent par être reléguées un jour au musée des antiquités organisationnelles.

Peut-être à un terme pas si lointain il paraitra à nos descendants aussi insupportable, absurde et indigne d’avoir contraint des hommes à aliéner leurs légitimes désirs d’épanouissement à l’obéissance aveugle d’une hiérarchie souvent elle-même prisonnière de patrons rétrogrades qu’il nous est aujourd’hui révoltant d’évoquer le travail des enfants au début du siècle passé.

La sélection naturelle est depuis longtemps mise en échec par la médecine et ses progrès fabuleux et l’entreprise considérée comme un lieu de combat acharné, de sélection impitoyable des "meilleurs" n’est pas une fatalité incontournable dans la recherche du progrès et dans l’amélioration de la condition humaine qui va bien au delà de l’aisance matérielle.

Patrice Leterrier

20 Octobre 2009

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