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31 mars 2014 1 31 /03 /mars /2014 16:35

 

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M

 

a jeunesse informatique fût marquée par la redoutable épreuve que représentait, pour le tout jeune ingénieur que j’étais, la traversée solitaire du parc de "perfo/vérifs" des chantiers navals de la Ciotat.

Les deux ont disparu.

D’abord le parc s’étiola comme peau de chagrin au fur et à mesure que l’usage des cartes perforées disparut du monde informatique.

Il était, à ses heures de gloire, tel un harem, rempli en été de très légèrement vêtues et aguichantes pensionnaires qui ne manquaient pas de se manifester à la présence d’un gringalet dans leur antre.

Le chant de cigale de leurs machines n’arrivait pas à couvrir les quolibets qu’elles proféraient avec cet accent inimitable de la Provence sous le regard réprobateur mais légèrement ironique de leur cheffesse qui trônait sur une estrade à l’extrémité de la pièce.

Ce fût ensuite les chantiers qui agonisèrent après de nombreux et douloureux soubresauts.

Certes la carte n’est pas le territoire, comme l’affirme Alfred Korzybski, mais le territoire des cartes fut celui de l’informatique à l’époque où les opérations d’ordonnancement de fabrication se faisaient encore sur des cartes perforées qui finirent leur longue et brillante carrière comme pense-bête baptisés "Things to do" dans les poches des IBMers.

La carte IBM brevetée en 1928 comportait 80 colonnes et mesurait exactement  7 38 sur 3 14 pouces. Ces mêmes 80 colonnes se retrouvèrent sur les premiers écrans informatiques.

Elle permettait de stocker 80 caractères alors qu’une clé USB d’aujourd’hui, à peine plus encombrante, qui ne coûte que 6 euros, permet de stocker 8 giga octets soit plus de 2,5 millions de pages de 3000 caractères.

Déjà en 1725, le tisserand lyonnais Basile Boucher avait eut l’idée d’utiliser des cartes perforées pour piloter des métiers à tisser.

Ce n’est qu’en 1801, que Joseph Marie Jacquard, reprenant l’idée de Jacques Vaucanson, mis au point son fameux métier à tisser qui symbolisa l’avancée inexorable de la technologie reléguant des ouvriers spécialisés au rang de banale force de travail.

On se souvient de la révolte des Canuts en 1831, qui fût l’une des premières manifestations ouvrières contre cette évolution.

En 1833, Charles Babbage conçoit une machine analytique qui ne sera jamais réalisée.

Elle devait implémenter mécaniquement tous les concepts de base  de l'ordinateur (unité de calcul, mémoire, registre) et prévoyait que les instructions et les données seraient introduites par des cartes perforées comme sur la machine de Jacquard.

Lorsqu’Herman Hollerith déposa en 1887 le brevet de sa machine à statistiques à cartes perforées pour le dépouillement du recensement américain, il s’inspira de la machine de Jacquard.

Confronté au problème de la réutilisation entre deux campagnes des machines qu’il avait louées au gouvernement pour le recensement, il comprit vite que son invention pourrait être largement utilisée pour des applications commerciales.

Il fonda à cet effet la Tabulating Machine Company qui devint en 1924 International Business Machine sous l’impulsion de Thomas Watson senior qui transforma la petite entreprise en ce géant international que nous connaissons.

La réussite et la fortune d’IBM doit beaucoup à la carte perforée.

Ce n’est en effet qu’en 1962 que le revenu généré par la commercialisation des ordinateurs dépassât celui de la branche des cartes perforées.

L’IBM 129, dernière machine destinée à produire des cartes perforées de la marque, fut commercialisée en novembre 1970 juste après l’annonce de la mémoire virtuelle des ordinateurs IBM 370 en juin 1970.

Le même mois Ted Codd publiait dans ACM l’article "A Relational Model of Data for Large Shared Data Banks", fondateur du concept des bases de données relationnelles aujourd’hui universellement utilisées.

C’était aussi le début de la fin de l’utilisation des cartes perforées avec la généralisation des supports magnétiques et le début du télétraitement, l’ancêtre de l’Internet omniprésent aujourd’hui.

Le métier de programmeur y perdit le volet sportif que lui donnait le transport de lourds bacs de cartes, qu’il fallait surtout veiller à ne pas renverser.


Patrice Leterrier

31 mars 2014

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