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25 février 2013 1 25 /02 /février /2013 14:10

 

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L

 

a conscience de soi c'est-à-dire cette capacité à se concevoir comme une entité distincte de l’environnement et des autres est l’un des processus les plus mystérieux et les plus fascinants de l’esprit humain.

A l’occasion de la sortie de son dernier livre L’autre moi-même le neuroscientifique Antonio Damasio nous apprend que "contrairement à l’idée répandue selon laquelle la conscience est produite par le cortex cérébral en tant que structure la plus récemment apparue dans notre histoire évolutive", des structures du tronc cérébral seraient "fondatrices du protosoi" une sorte de conscience qu’"il y a un corps qui est là, et qui vit"

La conscience ne serait donc pas le privilège de l’homme et remonterait à un stade d’évolution que nous partageons sûrement avec les primates mais aussi avec beaucoup d’espèces dont les reptiles et les mammifères.

Dans ce voyage à travers le temps il poursuit en ajoutant que, plus récemment, "la musique, langage, peinture, justice, morale sont autant de productions collectives qui, depuis une échelle de temps de l’ordre de 100 000 ans, régulent la vie des groupes".

Il ajoute que "l’émergence de nouvelles cultures, celle de nouveaux systèmes de représentation ou de régulation sociale, peuvent agir en retour sur le fonctionnement de l’esprit humain et sur les structures du cerveau".

La maturation du cerveau est un processus lent qui ne se finalise guère qu’après 25 ans.

L’espérance de vie de nos ancêtres ne dépassait guère cette échéance et donc la culture de l’ancêtre devait être prépondérante puisqu’il était le seul porteur des traditions et de la sagesse.

La culture était essentiellement locale, principalement orale (si on exclut les peintures et le culte des morts), faite de rituels construits dans une vision magique de l’univers. C’est encore clairement le cas dans les sociétés primitives.

Selon le psychologue Julian Jaymes ce n’est que vers 3000 avant notre ère qu’une évolution culturelle majeure aurait favorisé l’essor de l’introspection qui a permis de "faire évoluer vers des formes de soi autobiographique plus intégrées, portant la conscience de soi à des niveaux plus avancés."

Ce soi autobiographique culturel et propre à l’homme, se nourrit de l’existence de cette forme ancestrale de conscience et inscrit l’évolution de la conscience humaine dans un cursus d’abord biologique long puis dans un temps culturel récent infiniment plus court.

Depuis à peine un demi-siècle l’environnement de l’homme s’est transformé de manière drastique.

D’un monde où les hommes ne quittaient guère leurs régions natales, ne recevaient qu’une éducation formatée à l’école obligatoire et laïque, n’échangeaient qu’avec ses proches et son voisinage et à travers le courrier postal, ne disposaient que des livres et des journaux pour ouvrir une fenêtre sur le monde, la démocratisation des transports, la révolution médiatique puis l’explosion du numérique ont fait voler en éclats tous les schémas classiques de la communication et de la transmission de la culture et de l’éducation.

Aujourd’hui l’ère de l’ordinateur personnel et peut-être celle du web ouvert se terminent.

Ils sont de plus en plus enfouis dans des appareils mobiles et nous voyons apparaître une nouvelle grammaire gestuelle commune avec des applications communicantes accessibles à tous en permanence grâce à la généralisation des smartphones et des tablettes qui rend l’usage de ces prothèses communicantes immédiat et naturel tout au moins pour les générations digitales natives.

L’univers des utilisateurs s’élargit à une communauté libérée de toute contrainte non seulement spatiale mais aussi temporelle avec généralisation de l’usage de l’asynchronisme sur les courriels, les réseaux sociaux, les tweets, les SMS.

Nous sommes à la veille d’une extension de cet univers avec l’apparition de l’internet des objets, c'est-à-dire la connexion généralisée d’objets de notre vie quotidienne et l’apparition progressive de sondes captant en temps réel les paramètres de notre corps comme une sorte d’"exosoi" complétant notre rapport à nous même et à l’environnement.

La généralisation de ces actimètres pour suivre en temps réels les paramètres de notre équilibre physique, de ces sondes pour réguler par exemple le diabète, de ces capteurs pour mesurer l’oxygène du sang et prévenir des apnées du sommeil et d’autres objets encore permettra de contrôler bientôt notre corps.

Elle pourra également compléter nos sens en les augmentant (vision de nuit déjà opérationnelle dans l’armée) ou notre comportement en régulant notre activité cérébrale (par exemple pour prévenir des crises d’épilepsie ou des crises cardiaques).

Nous vivrons bientôt sur le contrôle permanent d’objets communicants avec nous, soit à travers nos smartphones, soit même directement reliés à certaines de nos aires cérébrales.

Et ces outils, comme ceux qui truffent déjà nos automobiles et nos télévisions et qui équiperont bientôt aussi nos objets domestiques, communiqueront aussi avec des tiers pour mettre notre sécurité et notre état de santé sous contrôle.

Une sorte de délégation à l’objet qui modifiera radicalement notre rapport à nous-mêmes et à l’environnement.

Sommes-nous à la veille d’une profonde évolution de l’espèce humaine qui ne serait due ni à l’évolution darwinienne ni à la l’éducation et la culture mais à la technologie ?

De nos jours les ancêtres deviennent plus nombreux donc plus communs. Ils ne sont plus ou rarement le relai naturel de la culture et de la connaissance.

La culture n’est plus seulement rare, orale et locale.

Avec l’extension de l’imprimerie elle était devenue le privilège d’une élite dont l’apogée fut atteint au siècle des lumières.

Avec la révolution médiatique, elle devint généralisée, visuelle et sonore mais linguistiquement et politiquement contrôlée. Le mode de transmission passait par une diffusion identique pour tous les utilisateurs (one to any).

Depuis l’explosion du numérique elle échappe à tout contrôle. Elle est éclatée, distribuée (any to any), mondiale, polymorphe et fractale.

Nous assistons à un changement radical de la socialisation, à une désynchronisation du temps biologique des émotions par nature inscrit dans la durée et du temps de l’information et de la connaissance qui devient instantanée.

Nous baignons aussi dans l’émergence d’un monde virtuel peuplé d’avatars aussi réaliste voire parfois plus que la réalité.

La perspective d’une réalité augmentée est imminente non seulement grâce à l’immense mémoire collective de la toile et la multiplication des moyens de communication, non seulement avec l’apparition prochaine de prothèses cognitives mais aussi du fait de la multiplicité des objets connectés à nous d’abord via nos tablettes et nos téléphones portables mais bientôt par un couplage direct entre le cerveau et des capteurs élargissant notre champs sensoriel à des espaces aujourd’hui inaccessibles.

Ce nouveau paradigme du rapport intime entre l’homme et ses outils changera radicalement le parcours d’apprentissage des enfants, les plongeant à la fois dans un monde virtuel réaliste et dans une réalité augmentée leur permettant une nouvelle forme d’interaction avec l’environnement.

Après la révélation du protosoi faite par Antonio Damiaso, marque évolutionnisme de la construction d’une conscience, ne sommes-nous pas en train de vivre l’ère du "cybersoi" avec cette époque où les sollicitations sensorielles sont décuplées par un tsunami informationnel qui risque de s’aggraver avec l’arrivée de l’internet des objets.

Nul ne peut prédire l’effet final de ces changements considérables dans un temps infiniment court par rapport au temps évolutionniste sur ce cerveau humain dont la plasticité a fait le succès mais qui l’expose au risque de perdre sa cohérence face à cette agression technologique.

Patrice Leterrier

25 février 2013

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