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2 juin 2012 6 02 /06 /juin /2012 14:16

 

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Q

uand le soir approchait je descendais des cimes de l’île et j’allais volontiers m’asseoir au bord du lac sur la grève dans quelque asile caché ; là le bruit des vagues et l’agitation de l’eau fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait souvent sans que je m’en fusse aperçu".

Personne n’a peut-être jamais mieux décrit que Jean-Jacques Rousseau, dans son œuvre posthume Les Rêveries du promeneur solitaire, le plaisir de laisser vagabonder sans but son esprit.

Albert Einstein, qui sortait de chez lui en pantoufles, s’imaginait courant le long d’une vague légère – une rêverie qui l’aurait conduit à la théorie de la relativité restreinte.

La légende (ou l’histoire) de la pomme tombant sur le crâne du savant semble accréditer que la loi de la gravitation universelle fut découverte dans un moment de rêverie du grand Isaac Newton.

Archimède eut la révélation de sa fameuse poussée alors qu’il prenait un bain pour se détendre. Il mourût à 75 ans, plongé dans ses pensées, tué par un soldat romain qu’il avait apostrophé parce qu’il dérangeait ses "cercles" dessinés sur le sable.

Les travaux de neuroscientifiques semblent en tout cas confirmer que les moments de rêverie donnent lieu à une intense activité, dans un réseau appelé "le réseau par défaut", comparée par certains à une sorte d’énergie sombre du cerveau.

Benjamin Baird, psychologue à l’université de Columbia, émet l’hypothèse que la capacité de l’homme de rêvasser aurait été sélectionnée par l’évolution pour nous permettre de résoudre des problèmes complexes.

La rêverie, souvent associée à une certaine forme d’excentricité, serait donc au cœur de l’activité créatrice.

Encore faut-il être capable de "saisir" la pensée vagabonde et ne pas se complaire à ressasser à l’excès en se laissant envahir par des mondes imaginaires au point de perdre tout contact avec la réalité.

La rêverie n’est donc pas une forme de pensée «infantile» et d’adonnation à la paresse comme le prétendait Sigmund Freud.

Selon une étude réalisée par Daniel Gilbert et Matthew A. Killingsworth, des psychologues de l’Université d’Harvard nous passons près de la moitié de notre temps à rêvasser.

Des études, menées en 1993 par la psychologue américaine Kathryn Wentzel, de l’Université du Maryland, ont montré que c’est celui qui suit les consignes, reste silencieux et comprend ce qu’on lui enseigne qui est considéré comme l’élève idéal. Cette attitude favorise l’obéissance et le conformisme, mais laisse de côté la curiosité et l’indépendance indispensables au développement de la créativité. Il reste que la personnalité même de l’enseignant joue un rôle primordial dans la transmission.

L’inactivité est combattue dans nos sociétés où l’agitation, la performance sont les critères primordiaux de l’intégration et de la réussite alors même que le destin de nos sociétés de hautes technologies et d’échanges dépend en grand partie de nos capacités d’innovations.

Or les grands découvreurs, les grands créateurs, les grands artistes sont d’abord des grands rêveurs excentriques possédant plus que d’autres la faculté de désinhibition cognitive, permettant à des idées, des associations incongrues situées à l’arrière-plan de surgir à l’avant-scène de la conscience.

On commence heureusement à voir de ces excentriques créatifs trainés sur les campus des sociétés de hautes technologies qui ont compris l’importance de favoriser ces talents "cachés".

On se souvient que le très charismatique Steve Jobs se présentait toujours à ses grands shows d’annonce mal rasé, en jeans et col roulé.

Il aurait pu rester un vieil hippy attardé s’il n’avait croisé sur sa route un certain Stephen Gary Wozniak et fondé avec lui Apple dont le nom n’est pas étranger à la pomme de Newton.

Son génie, source de son incroyable réussite, ne venait pas uniquement de son anticonformisme mais n’y était sûrement pas complètement étranger.

C’est du reste cet anticonformisme qui est peut-être responsable de l’aggravation de sa maladie parce qu’il voulut d’abord se soigner avec des traitements naturels faits d’alimentation végétarienne, d’acupuncture et de plantes.

Toute médaille aurait-elle son revers ? 


Patrice Leterrier 

2 juin 2012

 

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