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20 février 2011 7 20 /02 /février /2011 10:36

Watson winning Jeopardy

L

a légende raconte qu’un ancien esclave américain du nom de John Henry est mort d’épuisement après avoir réussi à battre une foreuse de tunnel à vapeur pour essayer de sauver l’emploi de ses congénères perceurs de tunnel qui n’avaient que ce travail pour vivre.

C’était probablement une des premières mais surement pas la dernière victime de l’inexorable course en avant du progrès technologique qui repousse de jour en jour les espoirs de l’homme à dominer les machines qu’ils créent.

Gary Kasparov est toujours vivant même si le jeune prodige et le grand champion d’échecs qu’il fut n’exerce plus son immense talent.

A Philadelphie, le dimanche 11 mai 1997, il fut battu par le superordinateur IBM Deep Blue sur le score de deux victoires à une et trois parties nulles.

Les adversaires mesuraient des tailles comparables mais Deep blue pesait plus de 140 fois le poids de son adversaire.

Alors que le cerveau du grand maître ne consomme qu’à peine 12 watts – ce  qui aurait à peine réussi à éclairer faiblement la table où se déroulait la partie - son adversaire aurait viré au rouge cramoisi s’il n’avait disposé d’une climatisation à frigorifier la banquise et s’il n’avait fallut des milliers de watts pour satisfaire la voracité des ses millions de circuits imprimés.

Ils déroulaient en parallèle et sans répit les algorithmes savamment conçus par des informaticiens de génie inspirés par des grands maîtres probablement ravis de jouer ce bon tour au meilleur d’entre eux.

Les 11 Gigaflops du champion d’IBM ne pouvaient pourtant pas se comparer aux exa-implusions électriques par seconde qui agitaient le cerveau du champion russe.

Le mercredi 16 février 2011, l’ordinateur IBM Watson remportait largement son défi au jeu Jeopardy avec 77 147 dollars de gains contre 24 000 dollars pour Ken Jennings et 21 000 dollars pour Brad Rutterface, deux des meilleurs champions à ce jeu.

Il venait d’ajouter une nouvelle étape dans la course sans fin qui repousse continuellement les limites des capacités cognitives des ordinateurs.

Cet anthropomorphisme faustien angoisse certains qui craignent de voir un jour la machine dominer l’homme.

Watson est infiniment plus puissant que Deep Blue et surtout dispose d’une connaissance encyclopédique exceptionnelle autorisée par les progrès fabuleux dans la numérisation des textes et ce qu’on appelle le text mining c'est-à-dire l’exploitation statistique des données textuelles (200 millions de pages de texte).

Avec ses 80 teraflops (80 000 milliards d'opérations par seconde), ses quelques 15 Teraoctets (15 000 Go) de mémoire vive, il enfonce son illustre prédécesseur.

Il est pourtant loin derrière le plus puissant superordinateur du monde le chinois Tianhe-1A qui affiche un vertigineux 2,57 petaflops soit 32 fois la puissance de Watson. 

Watson peut comprendre toutes les questions –même les plus alambiquées – que lui pose Todd Alan Crain et répondre en moins de trois secondes.

Son succès médiatisé ouvre des perspectives passionnantes pour l’aide à la décision par exemple dans le domaine médical où la masse de publications des recherches et des résultats associés ne cesse de s’enrichir à un rythme affolant et totalement impossible à suivre par les professionnels.

Pourtant tout puissant qu’il soit, tout spectaculaire que puissent être certaines de ses réponses, ses erreurs, certes rares mais consternantes, laissent pantois les observateurs.

Elles réjouissent David Ferucci le manager du projet DeepQA/Watson qui ne pense qu’à améliorer son œuvre.

Mais malgré ses milliers de milliards d’instructions par seconde, Watson est parfaitement incapable de pressentir qu’il connaît la réponse avant de la formuler comme le font les champions humains.

Sa différence avec l’homme n’est pas seulement une question de puissance mais bien plus fondamentalement une question de nature.

Il n’est pas dit que cet écart épistémologique ne sera jamais comblé mais il reste aujourd’hui un véritable fossé qui sépare ces monstres plus performants que l’homme dans un tout petit spectre de l’intelligence humaine.

Le  fonctionnement d’un peu plus de 1 kg de matière grise reste encore un immense mystère malgré les progrès stupéfiants des neurosciences.

La force mais aussi la faiblesse de l’homme vient aussi de sa capacité à ressentir des émotions qui quelquefois submergent ses capacités cognitives mais qui sont inséparables d’elles.

Elles sont probablement aussi essentielles aux étonnantes intuitions qui sont à l’origine de ses belles constructions intellectuelles que l’on appelle les sciences humaines.

John  Henry a périt pour la gloire mais sans pouvoir arrêter l’inexorable ascension de la mécanisation.

Garry Gasparov n’a pas démérité même si son génie et ses intuitions ont été battus par le déluge algorithmique implacable de Deep Blue.

Les champions du Jeopardy ont été surclassés par la connaissance encyclopédique de Watson.

J’ose espérer qu’il est encore plus qu’improbable qu’une masse survoltée de circuits imprimés puisse un jour découvrir la théorie de la relativité générale, composer la flûte enchantée ou encore écrire les fleurs du Mal.

Enfin du moins j’ai bon espoir de ne jamais voir ce désastre…


 Patrice Leterrier

20 Février 2011

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