Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 octobre 2009 4 01 /10 /octobre /2009 12:21

 

 


U

n salarié de France Télécom s'est donné la mort en se jetant d'un viaduc, lundi 28 septembre dans la matinée, à Alby-sur-Chéran, en Haute-Savoie, portant à 24 le nombre de suicides au sein de l'entreprise depuis février 2008.

Parler d’UN suicide et surtout de ses causes serait une imprudence et une maladresse.

La victime volontaire, lorsqu’elle parvient à ses fins, laisse parfois un écrit qui traduit son désespoir mais qui ne peut évidemment pas justifier son geste, ultime et paradoxal exemple de la liberté individuelle qui est souvent le dernier recours à des désespérances plus ou moins compréhensibles (cf. par exemple le suicide de Chantal Sébire après son combat perdu sur l’euthanasie).

Il y a 160 000 tentatives de suicide et plus de 10 000 décès par an en France ce qui fait de la France un bien triste champion dans ce domaine. On peut peut-être aussi rapprocher ces chiffres de ceux astronomiques d’antidépresseurs et d’anxiolytiques consommés par nos compatriotes.

Face au drame personnel, il y a d’abord l’incompréhension et la douleur des proches mais aussi cette tentation trop facile de désigner un coupable, LE coupable pour exorciser sa révolte devant l’irréparable, l’inconcevable.

Mais à l’inverse, lorsqu’il est en rapport avec le travail, il y a un danger de banalisation, de la "statistification" de l’événement. On évite ainsi de repenser l’organisation, les modèles managériaux et motivationnels, la nécessaire adhésion des collaborateurs aux objectifs, la solidarité indispensable à l’intérieur de l’entreprise, en quelque sorte la redécouverte du "vivre ensemble" dont parle Christophe Dejours fondateur de la psychodynamique du travail.

Le professeur Jean-Pierre Olié, chef du service de santé mentale et de thérapeutique de l’hôpital Sainte-Anne, les relient à "une grande difficulté à supporter l'anonymat dans les entreprises, le manque de reconnaissance, l'insécurité et l'instabilité professionnelle".

Même si nous observons, aujourd’hui plus que jamais, les effets délirants du culte de la performance, de l’obsession de la bottom line, du couperet impitoyable du ROI (return on investment) roi, avec les bonus astronomiques des traders, les parachutes dorés des dirigeants incompétents voire délictueux, les pratiques brutales et humiliantes de certains manageurs, le cynisme de patrons sans scrupule, il serait malhonnête et contreproductif de brandir ces cas individuels pour se lancer dans des diatribes partisanes sur les méfaits du capitalisme.

Cette religion de la performance qui a saisi la grande ex-administration France Télécom, est la pire des choses quand elle est mal maîtrisée. Elle donne alors lieu à des "évaluations quantitatives individualisées des performances, qui sont fausses, créent la concurrence, détruisent la relation sociale et installent la solitude" comme le souligne Christophe Dejours.

Changer une administration héritière du "22 à Asnières" en société commerciale en milieu hautement concurrentiel est assurément une tâche titanesque en terme de ce que les anglo-saxons appellent le business model, de changements dans l’organisation, de formation, d’évolution des mentalités des collaborateurs et des manageurs, de défis de culture d’entreprise, de mode de rémunération, de modèle motivationnel pour passer d’un égalitarisme démotivant à une reconnaissance des "mérites supposés" incomprise et souvent arbitraire, de mobilité intellectuelle et géographique etc...

Que de peur, de frustration, d’incompréhension, de découragement, de solitude "entourée" cachés derrière ces exemples dramatiques.

Les dernières déclarations du PDG de FT annonçant l’arrêt "au niveau national au principe de mobilité des cadres systématique tous les 3 ans" sonnent comme un aveu bien tardif des méfaits de la frénésie managériale brutale qui a saisi cette entreprise.


Patrice Leterrier

1 Octobre 2009

 

 

Fichier PDF

 

Partager cet article
Repost0

commentaires