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9 juin 2009 2 09 /06 /juin /2009 12:06

Averroès

L

a citation complète est "Celui qui abandonne son foyer pour se mettre en quête du savoir suit la voie de Dieu…L’encre du savant est plus sacrée que le sang du martyr".

Elle est forcément allégorique. Les martyrs ne peuvent être assimilés aux héros ni aux patriotes ni même à ceux qui payèrent de leur vie leurs convictions. Il s’agit plus probablement dans l’esprit du prophète de fanatiques refusant l’enseignement des sciences et prêts à se sacrifier pour faire triompher leur cause.

Au lendemain des cérémonies commémoratives du sacrifice de nos soldats et de nos alliés pour libérer l’Europe du joug nazi, il serait particulièrement mal venu de négliger le rôle de tous les héros la plupart du temps inconnus qui ont donné leur vie pour notre liberté.

Mais il est tout de même remarquable de pouvoir citer un tel texte venant d’une religion qui n’est trop souvent vue aujourd’hui qu’à travers ses intégristes fanatiques.

Au fond le sens premier de cette maxime est de consacrer la recherche obstinée de la compréhension du monde par la raison comme une attitude éminemment respectable du point de vue de la foi.

Quel plus bel exemple de cette tradition peut-on donner que celui d’Abu al-Walid Mohamed Ibn Ahmed Ibn Mohamed al-Andalusi plus connu sous son nom latinisé d’Averroès ?

Sa mémoire a été brillamment illustrée dans le Film "le Destin" de Youssef Chahine, comme symbole de la lutte contre toutes les formes d’intégrisme.

Né à Cordoue en Andalousie, il vécut au 12ème siècle. Il étudia, comme souvent à l’époque, à la fois la physique, la médecine, l’astrologie, la philosophie et les mathématiques. Il occupa plusieurs hautes fonctions : cadi de Séville (1169), grand cadi de Cordoue (1171), premier médecin à la cour du calife Abú Yaqub Yusuf (1182).

C'est en 929 que l'émir Abd al-Rahmān III rendit l'Andalousie indépendante de Bagdad pour former le califat de Cordoue. C’est à partir de cette époque qu’y fut constituée la troisième grande bibliothèque du monde islamique, comparable à celle qui jadis avait fait la réputation d'Alexandrie.

Cordoue, était à l’époque d’Averroès une ville de tolérance, de confluence des cultures, d'harmonie réussie entre musulmans, juifs et catholiques, lieu de sagesse, et l’un des deux pôles de la médecine arabe avec Bagdad.

Averroès fût un grand médecin et son traité le Colliget lui apporta une grande renommée. Il sera traduit en latin prés d’un siècle plus tard et enseigné en Europe jusqu'au XVIIIème siècle.

Mais Averroès est aujourd’hui surtout connu pour ses commentaires sur Aristote dont il chercha à retrouver le sens originel des écrits.

Averroès séparait radicalement raison et foi. Il considérait que la philosophie d’Aristote et la révélation coranique étaient deux expressions différentes de la vérité : "le vrai ne peut contredire le vrai".

A vouloir libérer la pensée musulmane de la double emprise du juridisme trop étroit et d'une théologie faussement spéculative, il se heurta aux tenants d'une orthodoxie religieuse étroite de la religion musulmane. Il tomba en disgrâce à l'âge de 71 ans et dut fuir et vivre dans la misère et la clandestinité. Ses livres philosophiques sont brûlés à Séville et Marrakech. Il est finalement réhabilité et rappelé à Marrakech un an plus tard, où il meurt en 1198.

Les principes d’Averroès, considérés comme dangereux parce qu'ils contredisaient la doctrine de l'immortalité personnelle, seront aussi condamnés par l'évêque de Paris en 1270, puis par le pape Léon X en 1513.

Les écrits d’Averroès jouèrent un rôle essentiel dans la redécouverte d’Aristote par l’occident. Sa pensée s’inscrit dans la grande tradition de l’humanisme scientifique qui refuse la lecture intégriste des textes sacrés pour rechercher la vérité scientifique. Elle existe encore de nos jours, avec les créationnistes par exemple.

En matière médicale, on peut aussi souligner que les hypothèses actuelles de l’articulation entre les neurosciences et la psychologie cognitive se retrouvent en grande partie dans la théorie de l’intelligence d'Averroès

L’histoire d’Averroès éclaire à la fois la lutte du savoir contre l’obscurantisme religieux mais aussi la liberté de ton et de pensée qui pouvait se développer dans les foyers scientifiques et philosophiques qui irriguaient de leurs connaissances l’immense empire des maîtres de l’époque qui s’étendait de la Perse, l'Egypte, le Maghreb jusqu’en Espagne.

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