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8 mai 2009 5 08 /05 /mai /2009 20:19

Rotative

L

orsque je mourrai, une dernière valse résonnera dans ma tête. Cette phrase, pleine de poésie, a été attribuée sur l’encyclopédie en ligne Wikipédia par un étudiant irlandais, Shane Fitzgerald, au compositeur français Maurice Jarre. Elle a été reprise par plusieurs journaux après son décès. En fait cette citation est une pure invention. Shane Fitzgerald s’est dit préoccupé par la crédibilité des informations sur internet. Il l'a imaginée et intégrée à la fiche Wikipédia du compositeur dans les minutes ayant suivi l'annonce de sa mort, le 30 mars. Etudiant en sociologie et en économie, il souhaitait voir dans quelle mesure les utilisateurs de cette encyclopédie en ligne alimentée par les internautes vérifiaient les informations qui y figurent. Il pensait que son canular tromperait des blogueurs, peut-être des petits journaux. "J'avais tort. Des titres de la presse dite de qualité en Angleterre, en Inde, en Amérique ou en Australie ont repris mes mots dans leurs articles sur la mort de Jarre", dit-il dans un article publié jeudi par le quotidien Irish Times.
Ce fait, qui peut paraître à première vue simplement un canular désopilant, pose en fait un vrai problème. Celui du poids immense qu’a "l’écrit" sur la toile. C’est au fond une conséquence assez prévisible du fait que les mots sont délivrés dans le même paradigme que des milliards d’images. La forte crédibilité des images est ainsi transmise par transitivité médiatique aux mots que l’on peut lire. Les images mentent quelquefois mais sont en général authentiques. Alors pourquoi un texte crédible ne le serait-il pas? Les internautes sont de potentiels gogos faciles à berner pour des petits malins inventeurs de citations originales, de découvertes imaginaires, de rumeurs non vérifiées mais crédibles.
Les choses deviennent plus graves lorsqu’il s’agit de faits tronqués ou déformés dans le but d’un prosélytisme au mieux simplement partisan au pire plus ou moins cynique pour embrigader des esprits fragiles : Comme par exemple l’existence d’armes de destruction massive dans les mains d’un tyran…
La chose n’est pas nouvelle depuis les moutons de panurge ou le joueur de flute d’Hamelin. Et après tout, un gogo de pris n’est plus à prendre…
Mais c’est tout autre chose concernant les journalistes. Ils sont véritablement pris dans l’étau d’une véritable double contrainte: d’une part la déontologie du métier qui leur dicte de vérifier et de revérifier les faits rapportés et d’autre part la valeur du temps, de l’instantané, du scoop. Ce qui change aussi avec internet c’est la multiplication des sources d’informations qui ne sont contraintes par aucun cahier des charges et dont il est bien difficile d’identifier la source et la valeur.
En matière de vérification d’information, rappelons-nous de la gaffe de Jean Pierre Elkabbach, annonçant la mort de Pascal Sevran au journal de 19 h du 21 Avril 2008 sur Europe 1. L’information était rapidement reprise par France 2, Direct 8, Purepeople.com, Yahoo! Actualités et (encore lui…) Wikipédia, avant d'être démentie une demie heure plus tard! Jean Pierre Elkabbach était d’autant plus embarrassé qu’il voulait lancer la création d'un comité d’éthique dans le but de
"ne plus se laisser détourner, par les querelles de caniveau ou les vrais-faux scoops, des sujets importants"... Il essaya d’abord, assez lâchement, d’évoquer "une erreur collective" pour finalement admettre qu'il était l'auteur de l'information. Cette précipitation lui a d’ailleurs valu son poste à Europe 1 un mois plus tard.
Le métier de journaliste n’est plus soumis au rythme de la parution journalière avec la traditionnelle conférence de rédaction et cette montée en puissance de la fébrilité au fur et à mesure qu’approche l’heure fatidique où plus rien ne peut être changé.
Aujourd’hui le journaliste doit réagir dans l’instant, à la minute voire à la seconde, concilier l’inconciliable nécessité d’informer et d’expliquer et l’impératif d’aller toujours plus vite pour être le premier…Ce qui est en cause c’est ce culte, voire cette tyrannie de la vitesse incompatible avec la vérification approfondie et surtout le recul, la réflexion. Ce n’est pas au temps qu’il faut donner du temps comme le prétendait François Mitterrand, c’est au journaliste au risque autrement de voir disparaître ce beau métier !

Patrice Leterrier

8 Mai 2008

 

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